samedi 13 juin 2015

Le revenu de base, une réalité en 2020?



BY
EYES ON EUROPE
3 JUIN 2015

Rencontre avec Stanisas Jourdan, du Mouvement Français pour un Revenu de Base: 
 Stanislas Jourdan est co-fondateur du Mouvement Français pour un Revenu de Base. Diplômé d’école de commerce en 2011, son activité de blogueur l’emmène sur la voie du journalisme, puis de l’engagement militant pour le revenu de base inconditionnel, l’économie collaborative et la Démocratie Directe. 
En 2013, il organise l’initiative citoyenne européenne pour le revenu de base et parcourt l’Europe pendant près de deux ans pour organiser cette campagne, qui s’est cloturée début 2014 avec près de 300.000 signatures au compteur.
 Il est aujourd’hui coordinateur national du Mouvement Français pour un Revenu de Base, et fondateur du journal L’Inconditionnel qui développe l’idée du revenu de base.

Est-ce que le revenu de base est considéré comme la même chose que l’allocation universelle? Sinon, quelles sont les différences entre les deux?

Il existe de nombreuses appellations à l’idée de revenu de base, mais la plupart désignent bien la même chose : l’idée de distribuer un revenu à tous les membres d’une communauté, sans conditions de ressources ni exigence de contreparties de travail, de la naissance à la mort et de façon strictement individuelle. Historiquement, Le terme « allocation universelle » a été notamment promue par le philosophe belge Philippe van Parijs, l’un des fondateurs du Basic Income Earth Network ainsi que les cercles libéraux en France ; tandis que l’appellation « revenu de base » est davantage commune à tous ses promoteurs, d’autant qu’elle est la traduction littérale de « basic income » en anglais.

En pratique, est-ce qu’on pourrait mettre en place le revenu de base au niveau de l’Union européenne? Et si oui, sous quelle forme?

Sur le plan national il existe une multitude de propositions différentes sur la façon de financer ce revenu de base, sur son montant et les modalités de sa distribution. La plupart des défenseurs de l’idée s’accordent néanmoins pour dire que le revenu de base serait financé en partie par une simplification sociale et fiscale : on regrouperait les allocations qui font doublon à hauteur du montant du revenu de base. 

Il existe moins de propositions de revenu de base au niveau européen, mais le concept d’euro-dividende proposé par Philippe van Parijs semble se dégager comme la proposition la plus pragmatique et faisable politiquement. Elle consiste à mettre en place un revenu de base d’environ 200 euros en moyenne par citoyen européen, financé par une harmonisation partielle des systèmes de fiscalité, par exemple la TVA (qui est l’impôt le plus harmonisé dans l’UE) ou un impôt sur les sociétés européennes. L’idée est que, mise à part l’euro-dividende, chaque état membre reste libre de conserver les spécificités de son modèle social et fiscal. Il serait de toute façon illusoire d’imaginer une centralisation et harmonisation totale de la protection sociale au niveau européen. On a donc un système à deux étages, le revenu de base européen n’étant qu’un socle assez faible, que chaque pays peut éventuellement compléter par un revenu de base national.

Pourquoi ce serait intéressant selon vous?

D’une manière générale, l’idée phare du revenu de base est de découpler en partie le revenu de l’emploi, de manière à libérer les gens de la peur du manque d’argent. En faisant cela, on libérerait ceux qui s’essoufflent à travailler trop dans le cadre de conditions déplorables. Assurés d’avoir un revenu de base quoiqu’il arrive, les travailleurs auront davantage le choix de refuser ces emplois pénibles, ou pourront mieux négocier de meilleurs conditions de travail.

D’autre part, comme tout le monde touche le revenu de base, y compris les riches et les travailleurs, ce n’est donc pas une « aide pour les pauvres ». De ce fait, le revenu de base supprimerait l’effet stigmatisant de l’aide sociale actuelle, qui propage cette idée que les chômeurs et les pauvres sont des fainéants qui vivent sur le dos des autres. Le revenu de base, c’est un peu comme le droit de vote, il concerne tout le monde car chacun a le droit de participer à la démocratie. Comment participer au jeu économique si l’on n’a pas de revenu stable ? Comment se rendre utile à la société quand celle-ci brise la dignité des personnes ? Le revenu de base inverse le schéma et permet de penser l’utilité sociale en dehors du cadre étroit de l’emploi salarié. Il redonne de la dignité et offre les moyens à chacun de trouver sa place.

Au niveau européen, l’argument pour le revenu de base est plus pragmatique encore dans le contexte de la crise de la zone euro. Le constat selon lequel la monnaie commune ne peut survivre sans une union politique et économique commence à être partagé : il faut donc des mécanismes de stabilisation macroéconomiques pour que l’union monétaire soit durable et ne profite pas seulement à l’Europe du Nord très compétitifs, au détriment des pays du Sud. Concrètement, cela signifie qu’il faut des transferts fiscaux à l’intérieur de la zone euro.
Mais comment procéder ? Personne ne veut d’un système social européen si cela implique davantage de bureaucratie au niveau européen, alors même que les systèmes de protection sociale nationaux sont déjà bien complexes ! D’où la proposition du revenu de base, qui permettrait à l’Europe de se doter d’un modèle social simple, transparent, efficace économiquement, sans besoin de bureaucratie supplémentaire.

Quels seraient les obstacles à franchir avant une réalisation? (Surtout les obstacles économiques, budgétaires, éventuellement organisationnels)

Le principal obstacle au revenu de base n’est pas sa faisabilité financière. Les chiffres montrent que c’est possible. Le problème est essentiellement le manque de volonté et d’audace politique.

Il faut dire que les choses ne sont pas simples au niveau de l’UE, car les traités européens ne donnent pas de compétences à la commission européenne pour agir directement dans le domaine des affaires sociales. Sans compter que les dirigeants des gouvernements nationaux ont très peur de perdre leur autonomie financière par une intégration fiscale poussée au niveau européen.

Mais derrière ces obstacles de façade se cache aussi une révolution culturelle. En effet, l’objection principale au revenu de base, c’est l’idée de donner un revenu sans conditions de travail, c’est l’idée que « celui qui ne travaille pas ne mange pas ». Pour arriver à penser le revenu de base, c’est donc toute la culture du travail et l’objectif politique du plein emploi qu’il faut dépasser. Il y a du travail !

Si le projet pouvait être mis en place, quand est-ce qu’on pourrait estimer sa naissance au niveau européen?

Difficile de prédire une date exacte, mais l’Europe est en avance sur ce sujet par rapport au reste du monde. Je suis convaincu que le sujet va devenir incontournable d’ici quelques années, notamment grâce au référendum en Suisse en 2016.

La crise économique et l’urgence sociale jouent également en notre faveur, si bien qu’en cas de nouvelle panique financière en zone euro, le revenu de base pourrait bien être l’une des solutions les plus rapides à mettre en place pour relancer l’économie européenne et lutter efficacement contre la pauvreté. Tout cela me fait dire que le revenu de base pourrait voir le jour plus rapidement qu’on ose l’espérer, peut être en 2020 ? C’est en tout cas notre objectif au réseau européen pour le revenu de base.

Que signifierait cette nouveauté pour les différents pays de l’UE?

Si l’on appliquait un euro-dividende ne serait-ce que dans la zone euro, cela signifierait un partage de certaines recettes fiscales avec les autres pays membres, et donc une redistribution des richesses entre les pays de l’UE. Concrètement, les pays riches financeront une partie de la protection sociale des pays plus pauvres. On aboutirait enfin à une vraie solidarité européenne, qui permettra une convergence sociale.

Mais le véritable impact sera surtout au niveau des citoyens, qui auront un peu plus de liberté vis-à-vis du marché de l’emploi. J’ose espérer que beaucoup de gens se consacreront à des activités dans lesquelles ils se sentent vraiment utiles et performants, plutôt que de simplement chercher un job qui permet de joindre les deux bouts.

Yolande Kirsch




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