d'après http://grozeille.co/2024-lembrouille-olympique/
Paris 2024, c’est dans la poche. L’accord entre le CIO et Los Angeles pour les Jeux de 2028, offre quasiment la victoire à la capitale française. Paris seule en course, Paris seule en tête. Reste que l’événement le plus notable du bazar olympique, c’est la raréfaction des candidats. Au point que le CIO a dû inventer un stratagème des plus capilotractés pour conserver les deux candidatures de Los Angeles et de Paris. Le principe : la ville qui n’obtiendra pas l’édition 2024 héritera de 2028. On pourra faire autant d’esbroufe que l’on veut, si Paris est sélectionnée, c’est que personne d’autre ne veut des Jeux Olympiques.
Tour à tour,Toronto, Hambourg, Rome, Boston et Budapest se sont toutes retirées de la course. Défiance des populations ? Défaillance de l’idéal sportif ? Il semble bien qu’il y ait une couille dans le potage olympique. Alors, Paris serait-elle le dindon de la farce ?
Depuis une trentaine d’années, les JO sont devenus de véritables pompes à fric. L’argument n’est certes pas nouveau. Dans les rangs des partisans de Paris 2024, on a d’ailleurs essayé d’y répondre tant bien que mal par toutes sortes d’élucubrations abracadabrantes. Le comité de candidature produit du projet chiffré à tour de bras, les modèles économiques fonctionnent à plein régime pour trouver les ajustements optimaux, Le Monde ressort dans une vidéo différents exemples d’infrastructures olympiques qui ne sont pas tombées en friches. Toutefois, l’expérience est formelle : tous les JO des trente dernières années ont explosé leur budget initial. À Pékin, on est même passé de 2,6 milliards prévus à 32 milliards de dollars effectivement dépensés. La situation n’est pour sûr pas la même à Paris qu’à Rio ou à Pékin. Mais à Londres aussi, les coûts initiaux ont été multipliés par trois. Il y a au moins de quoi douter des prévisions apologétiques du comité organisateur.
Ce n’est pas donc étonnant que les populations de nombreux pays aient décidé de rejeter l’organisation des JO. Hambourg a d’abord retiré sa candidature en Novembre, à la suite d’un référendum. Puis c’était au tour de Budapest, sous la pression d’un mouvement citoyen.
Si consensus il y a en France, ce n’est pas par adhésion véritable mais par camouflage du dissensus. On soulèvera les arguments et les statistiques que l’on voudra, mais il n’y a véritablement eut lieu aucun débat d’envergure autour des JO, contrairement à ce qui s’est passé en Allemagne et en Hongrie.
Afin de couper à la racine toute contestation, le comité de candidature français a multiplié les annonces rassurantes. Paris 2024 comptera sur un budget raisonné et parfaitement équilibré. Les olympiades parisiennes seront sociales et vertes. Le montant total du projet est estimé à 6,6 milliards d’euros, la moitié pour les infrastructures, l’autre pour les charges opérationnelles. Si on en croit l’exemple londonien et qu’on multiplie modestement les dépenses par trois, on atteint quand même la coquette somme de 20 milliards d’euros. Certes, mais cette fois, assure-t-on chez Paris 2024, les dépenses seront maîtrisées.
On ne lésine pas sur les promesses pour faire passer la pilule. La ville de la Tour Eiffel a décidé de jouer la carte du développement durable et elle n’y va pas par quatre chemins : « 100 % de matériaux biosourcés » pour les constructions, « 100 % d’énergie verte » pour alimenter l’événement, « 100 % d’alimentation durable et certifiée » pour les repas des athlètes, 100 % des déplacements effectués en « transports propres ». Le comité de candidature de la ville de Paris pour les JO 2024 se donne à « 100 % » pour convaincre que les jeux olympiques et paralympiques qu’il organisera seront durables. « On veut les Jeux les plus verts qui n’aient jamais été faits », résume Isabelle Autissier, présidente de WWF-France et partenaire de la candidature parisienne.
On le sait, les JO sont propices à des exercices de voltige virtuose. Anne Hidalgo, la maire de Paris, nous a prouvé qu’elle maîtrisait le « retournement de veste » à la perfection. Car il fut un temps où elle estimait - et elle n'était pas la seule- qu’il n’était ni raisonnable ni acceptable de s’engager dans une « course [olympique] au toujours plus qui a laissé des éléphants blancs et des situations d’endettement dans des villes. Les Parisiens attendent de moi du logement, des équipements, de la justice, de la facilité économique ». A-t-on besoin de plus de preuves que des motivations politiciennes déteignent sur les considérations environnementales et sociales dans la candidature parisienne ?
Sans aller jusqu’à parler de corruption ou de conflit d’intérêts, il faut remarquer que ceux qui soutiennent Paris 2024 se concentrent sur des objectifs de court-terme et ne voient les implications des Jeux Olympiques que par le petit bout de la lorgnette (tendue par les multinationales et leur cortège d’économistes). C’est à croire qu’à force de fixer la flamme olympique, les élus se sont aveuglés sur les besoins réels des Parisiens. Les JO seront-ils réellement un « accélérateur de progrès » parce qu’ils permettront aux Franciliens de se baigner dans la Seine ? Ne pourrait-on pas commencer par s’attaquer à d’autres problèmes de salubrité publique plus consternants ? Comme dans le quartier de Château-Rouge qui est entrain de se transformer en dépotoir à ciel ouvert. Dans ce quartier le tribunal administratif a condamné la mairie et la préfecture de police de Paris à une amende de 5.000 euros au titre de « préjudice psychologique » du fait de l’insalubrité.
De la même manière, le projet de lignes de transport du Grand Paris Express accéléré par la candidature aux JO ne sera pas forcément profitable aux Franciliens, mais plutôt aux grandes infrastructures comme EuropaCity, ce projet monstrueux de parc de loisir géant au nord de Paris. C’est une raison de plus pour classer « Paris 2024 » au rang des Grands Projets Inutiles (GPI). Encore une preuve que la candidature de Paris aux JO s’inscrit dans un modèle de développement à bout de souffle, qui privilégie des intérêts et un agenda politique à court terme au détriment des habitants et des écosystèmes.
Pour en rajouter un peu et rendre la situation plus mordante. Voici la liste non exhaustive des divers sponsors déjà déclarés et tous irréprochables écologiquement : Air France, Aéroports de Paris, Bouygues construction, BNP Paribas ou Suez. Mais ce n’est pas fini. En plus de ces « humanistes » français adeptes de licenciements boursiers, on devrait bientôt voir débarquer d’autres grands défenseurs de l’environnement. Mais pas d’inquiétude, au comité de candidature on l’affirme : « on forcera Coca-Cola à changer un peu son modèle. » Niveau circonlocution, le comité obtient la palme d’or. Ou alors les JO alimentent les tendances à croire au père Noël.
Dans une période de grave crise économique et sociale, les discours mystificateurs sur la joie olympique devraient être balancés par des études précises sur les coûts financier, économique et écologique des JO. L’objectif des opposants à la candidature parisienne n’est pas de tuer dans l’œuf tout projet de grande manifestation culturelle ou sportive à même de rassembler les gens. L’objectif, c’est plutôt de nous entendre collectivement sur ce que nous entendons par sport et culture, sur ce autour de quoi nous voulons véritablement nous réunir. En discuter plutôt que se faire enfumer par l’insistante propagande des grands médias, du gouvernement et autres multinationales.
Alors qu’est-ce que signifient réellement les JO à Paris ? Qu’est-ce qui se cache sous les propos rose bonbon des promoteurs de la candidature parisienne ?
L’inflammation du dispositif sécuritaire. Regardez Londres : la Grande-Bretagne, déjà championne du monde de la vidéosurveillance, en a rajouté une couche orwellienne avec les Jeux de 2012. Les JO, parce qu’ils concentrent les médias du monde entier, sont une cible potentielle privilégiée pour une organisation terroriste. On peut alors choisir de prendre le risque ou non. Soit. Mais quand on choisit concomitamment de miser tapis sur les JO et de proroger les dispositions anticonstitutionnelles de l’état d’urgence, la situation devient rocambolesque. Il faudrait savoir ce qu’on veut, la « prévention » à tout prix, vraiment ? Si l’on place la menace terroriste au dessus de tout, au point de détricoter des droits fondamentaux garantis en temps normal par la Constitution, une cohérence minimale imposerait de repousser la perspective des JO au nom de « l’impératif sécuritaire ». On est en droit de questionner la légitimité de la « stratégie antiterroriste ». D’autant qu’on devrait voir dans quelques années « l’amour des Jeux » se transformer en injonction normative généralisée. Et ce grâce à la labilité du concept de terroriste. Attention, surtout pas de manifestations qui pourraient « nuire à l’image de la France » ! Prenez garde militants écologistes et altermondialistes, la paix olympique sera imposée, de gré ou de force.
La concentration des dépenses publiques sur des infrastructures sportives pas vraiment prioritaires. Alors certes, les dépenses seront maîtrisées et les infrastructures recyclées. C’est assuré. Mais alors que l’histoire nous invite à douter de la sincérité du premier argument, la plus naïve bonne foi nous pousse à nous méfier du second. Il faut concéder au comité chargé de la candidature le monopole des bonnes intentions. Mais encore une fois, ses membres voient-ils plus loin que le bout de leur nez ? N’y a-t-il vraiment pas plus optimal qu’une piscine olympique en bord de Seine (même réutilisable) pour aider les chômeurs, les mal-logés et les mal-payés ? Et à qui les performances sportives profitent-elles ? Aux marchands de stades, de drogues anabolisantes, de boissons énergisantes. Combien de stades de banlieue, de foyers communautaires, d’écoles ou de centres aérés pourraient être construits avec cette manne déversée sur une toute petite minorité ?
Et la « fierté nationale » ? Et la fête entre les nations ? Les JO serviront le « sentiment national », si on appelle « sentiment national » l’exacerbation d’un chauvinisme primaire qui accompagne les performances de « nos » athlète. C’est que « l’esprit sportif » a perdu de sa superbe et que le ou la plus inconnu.e de « nos » gymnastes sert de prétexte au déploiement d’une « fierté nationale » bien étriquée. Rappelez-vous à ce sujet les propos assez discutables des commentateurs des chaînes de télévision publique France Télévision lors des Jeux de Rio. Partout dans le monde le chauvinisme devient licite lorsqu’il s’agit de parler des médailles.
De la même manière, on dit que les JO serviraient la « grandeur française ». Et ce selon des modalités qui vont de la croissance économique à la reconnaissance internationale, en passant par l’attractivité touristique, la compétitivité de « nos » entreprises et autres indicateurs du même acabit. Tout se passe en fait comme si le chauvinisme qui se donne libre cours sur les chaînes de la télévision publique participait d’un plus vaste système qui s’entretenait de lui-même. En effet, à quoi reconnaît-on les « bénéfices » de l’organisation des JO ? A une triste et superficielle compétition entre les nations pour la tête des classements de Challenges ou du Times ? Mais qu’en est-il des bénéfices environnementaux des JO ? Ou des apports en terme de justice sociale ? Donnez-nous plus d’égalité et moins d’oppression, nous nous contrefoutons d’avoir le plus grand nombre de médaille ou d’être en tête du Dow Jones. Les JO, comme de nombreuses institutions qui semblent si importantes aux yeux de nos gouvernants, placent la compétition au centre des valeurs, là où la solidarité et la coopération seraient les bienvenues. « L’esprit sportif » représente en fait un parfait alibi pour légitimer l’ordre inique du monde avec lequel le mouvement olympique a toujours pactisé.
Dès 1913, on pouvait lire dans la presse sportive allemande : « L’idée olympique de l’ère moderne symbolise une guerre mondiale qui ne montre pas son caractère militaire ouvertement, mais qui donne à ceux qui savent lire les statistiques sportives un aperçu suffisant de la hiérarchie des nations ». Dans les stades olympiques se réverbèrent à l’état larvé les lignes conflictuelles qui traversent notre monde. Autrefois le fascisme contre les démocraties libérales, l’Est contre l’Ouest, aujourd’hui l’OTAN contre le Tiers-Monde. Dans les stades olympiques, il n’y a pas d’élan d’amour désintéressé, pas de solidarité internationale. Mais les instincts grégaires ont libre cours, c’est la fibre nationaliste qui doit vibrer quand « nos » athlètes écrasent l’étranger.
Les Jeux, parfois symbole de l’amitié entre les nations et de l’amour entre les peuples, ont pris aussi des faces bien plus menaçantes. La transmission du flambeau olympique à Paris fera-t-elle oublier que les Jeux de Pékin, en 2008, auront eu pour fonction de légitimer la Chine, un Etat autoritaire, champion du monde des exécutions capitales ? Fera-t-elle oublier que le drapeau olympique a souvent — Berlin 1936, Mexico 1968, Munich 1972, Moscou 1980 — été maculé de sang ?
Reconnaissons-le: comme le voulaient les anciens Grecs, le sport est une guerre ritualisée, sans armes, sans versement de sang et sans mort. Il ne s’agit pas d’être caricatural, le sport peut aussi être une éducation à la paix.
C’est le sport spectaculaire qui contribue à la production de ce gigantisme militarisé de l’amusement qui nous dérange. Certes, le sport a toujours été un spectacle. Mais il est advenu un changement qualitatif depuis quelques décennies. Les Jeux Olympiques semblent aujourd’hui partager plus avec les combats de gladiateurs qu’avec les olympiades antiques. Qu’est-ce que le sport aujourd’hui sinon des sommes exubérantes mises en jeu pour quelques stars surentraînées et entourées d’une ribambelle d’agents et de directeurs de communication ? C’est que la société spectaculaire ne prend même plus la peine de dissimuler les inégalités. C’est la course à la performance, sans souci des athlètes qui se sont transformés en machines branchées à des cathéters d’anabolisants.
Loin de répondre aux besoins sociaux et culturels d’un pays ravagé par le chômage, la pauvreté et l’exclusion, les Jeux sont devenus un indécent étalage de promesses démagogiques, de vœux pieux et de dépenses somptuaires. Le CIO s’est de plus en plus métamorphosé en comité politique atlantiste partisan du capitalisme mondialisé. Les Jeux n’ouvrent plus à la découverte de l’autre mais servent seulement d’enceinte au matraquage publicitaire des grandes multinationales. Plutôt que d’y rencontrer nos semblables d’à travers le globe, on y découvre seulement les nouvelles versions du Big Mac. « Nos » athlètes ne ressemblent en rien à des ambassadeurs à même de partager notre culture et nos idéaux. Ils sont au contraire le plus souvent les premiers aliénés par les mécanismes du sport spectaculaire. Aveuglés et oublieux, passifs et dépouillés, ils ne sont souvent que des épouvantails en lesquels miroitent la face la plus dégoûtante de notre société. Ils sont l’image de l’élite mondialisée acquise à la consommation effrénée.
Le sport spectaculaire a changé d’idéal. Fini l’idéal aristocratique et ascétique. Les vieux lords anglais qui jouaient au cricket en amateur pour garder la santé, c’est terminé. Entre temps, l’esprit du monde a changé et les vents du capitalisme libéral et de son idéal méritocratique ont eu le temps de souffler. Aujourd’hui on fantasme une gloire éphémère, un buzz médiatique. On est obsédé par la réussite. En d’autres termes, l’alliance du sport, du libéralisme et du spectacle est consacrée.
Les JO signent l’alliance paroxystique du spectacle, du sport et de la télévision. Qu’est-ce que cela signifie ? Que les JO participent à l’aliénation des individus dans la société spectaculaire. Plus prosaïquement, on dépense son attention et son temps à regarder le 100 mètre plutôt qu’à penser en terme politique. Plus poétiquement, on s’amuse à en mourir. Apogée du sport-spectacle, les Jeux Olympiques : on voit les citoyens de chaque pays s’intéresser à des disciplines dont les résultats les indiffèrent d’ordinaire, pourvu que leurs représentants détiennent quelques chances de médailles ou accèdent à l’espace de célébration du podium.
Le spectacle, c’est l’image inversée de la réalité vécue. C’est la projection de la réalité sur un ciel intouchable. Mais comme nous avons trop souvent la tête dans les nuages, nous croyons qu’il est réel. Et puisque nous le croyons collectivement, il devient effectivement la réalité. Lors des Jeux Olympiques, la réalité spectaculaire prend véritablement corps. La relégation sociale dans les banlieues est dissoute dans l’admiration pour « nos » sportifs issus des minorités et soudain promus gloires nationales. La méritocratie et le libéralisme fonctionnent, c’est prouvé ! L’idéologie de la compétition généralisée, si chère à nos dirigeants et penseurs néolibéraux, fait une percée extraordinaire durant les JO : même les critiques se rallient à l’idéal de la compétition non faussée. Le sport et son armada de relais médiatiques réussissent à tuer dans la ouate toute velléité de révolte.
Pourtant, cela ne fonctionne que si tout le monde reste béat, le regard captivé par les étoiles (nos si chères stars !). Bref, cela marche jusqu’à ce que l’on trébuche. Et alors, on peut douter qu’aucun d’entre nous entende vraiment trouver son bonheur dans quelques dixièmes de secondes grappillées à coup de produits chimiques. Nous ne pensons pas que quiconque, s’il y réfléchissait à fond, prenne réellement son pied en écrasant autrui, surtout s’il ou elle est de nationalité différente. Les JO nous renvoient une image hideuse de notre société mais la laideur est rendue socialement acceptable par la magie médiatico-sportive.
Le discours pro-JO fonctionne le plus souvent comme un monologue teinté de la seule couleur de l’idéologie, sans recours aux arguments. En effet, il s’agit de cacher les conflits d’intérêts avec l’agence Keneo, de nier les études des économistes indépendants qui contestent les retombées financières mirobolantes prévues par le Centre de droit et d’économie du sport de Limoges (CDES) associé à l’agence Keneo, de dissimuler les nombreuses procédures judiciaires (délit de favoritisme, marchés truqués, etc.) dont font l’objet plusieurs partenariats public-privé noués lors des grands chantiers sportifs.
On peut se poser la question, qu’est-ce qui se passerait si on grattait le vernis, qu’on organisait un débat et un choix démocratiques (et pas un maigre sondage d’opinion) ? Pourquoi est-ce que les français ne suivraient pas les cloches d’Hambourg ou de Budapest ?
Il est vrai que malgré ses dérives, l’olympisme continue toujours à véhiculer une « magie » qui devrait être préservée. Mais à quel prix devrons-nous acheter cette bribe d’espérance ? En nous résignant à trop de concessions, nous en viendrons assurément à l’éteindre, cette dernière étincelle de magie que les Jeux allument encore.
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