Nous reproduisons aujourd'hui dans son intégralité un article du blog de Médiapart, très bien documenté, qui résume l'action des associations et collectifs engagés dans le soutien aux personnes exilées. Nous y reconnaissons Vaugneray Accueil et Solidarité VAS, Arthur (à Thurins), et beaucoup d'autres dans notre région (Grézieu, St Martin en Haut, Montrottier, Bois d'Oingt, etc... ) Nous changeons simplement quelques illustrations...
- 29 MAI 2019
- PAR YVES FAUCOUP
- BLOG : SOCIAL EN QUESTION
Depuis quelques années, un certain discours politique ne craint plus de s’en prendre aux immigrés. Longtemps, ces diatribes étaient l’apanage de l’extrême-droite. Aujourd’hui, des leaders se targuant d’être républicains n’hésitent plus à jeter la vindicte à l’encontre de ceux venus d’ailleurs. Des citoyens, cependant, résistent. Enquête.
La crise aidant, la nécessité de désigner un bouc émissaire responsable des malheurs des temps (chômage, dette publique, restrictions budgétaires), des élus, chefs de parti et éditorialistes ont soit désigné les plus démunis comme directement coupables de la « faillite financière » du pays, soit accablé les migrants de tous les péchés du monde, le plus souvent accusant les uns et les autres en même temps.
Face aux guerres au Moyen-Orient, à la misère, aux changements climatiques, des réfugiés ont cherché à atteindre l’Europe, traversant mille dangers, mais les États qui la composent ont été incapables d’assumer leurs responsabilités humanitaires. Les médias ont complaisamment diffusé et rediffusé les images des cohortes d’exilés, et des partis démagogues ont exploité ce qu’ils présentaient comme une menace, y compris dans les pays où le taux de personnes « accueillies » était infime.
Les discours racistes, xénophobes, de rejet de l’étranger venu du Sud, se sont développés, y compris de la part de leaders et « experts » qui ne relevaient pas jusqu’alors de l’extrême-droite. Parallèlement à cette évolution particulièrement inquiétante pour la démocratie, apparaît dans une relative discrétion un mouvement humaniste de citoyens refusant une remise en cause cynique des valeurs de la République et s’engageant dans l’accueil des exilés, des sans-papiers, des demandeurs d’asile. Enquête auprès de collectifs d’aide aux migrants.
Les guerres au Moyen-Orient, en partie provoquées par l’Occident, l’écrasement de la révolte syrienne, ont jeté sur les routes des réfugiés, cherchant à quitter leur pays en proie aux bombardements et à d’innombrables exactions, cherchant asile d’abord au Liban, en Jordanie, en Turquie, où vivent des millions de réfugiés dans des camps. Certains d’entre eux ont voulu gagner l’Europe et les médias n’ont cessé de montrer des cohortes traversant les frontières avec, pour tout bagage, un baluchon sur le dos. L’Allemagne, par humanisme ou par crainte de son effondrement démographique, peut-être pour les deux à la fois, a accueilli près d’un million de réfugiés. A noter qu’aucun ne s’est retrouvé à la rue, Berlin organisant l’accueil (hébergement), quitte à refouler les indésirables qui n’avaient pas assez de diplômes, surtout après que la chancelière Angela Merkel ait dû faire face à une protestation anti-immigrés venant surtout de mouvements d’extrême-droite sinon pro-nazis.
L’Europe face aux réfugiés
L’Europe (ou plus précisément les pays d’Europe), on le sait, ne sut s’organiser pour répartir ces réfugiés, qui finalement à l’échelle du continent (500 millions d’habitants) étaient bien peu nombreux, surtout si l’on se réfère aux migrations internes à l’Afrique ou, comme indiqué plus haut, au sein même du Proche et Moyen-Orient. Des pays de l’Est, comme la Hongrie ou la Pologne, refusèrent d’accueillir, ne serait-ce que quelques milliers de personnes, le premier ministre hongrois, Viktor Orban, allant jusqu’à autoriser les militaires à tirer sur les réfugiés. La France (Manuel Valls, premier ministre) rechigna, morigéna la chancelière et concéda de prendre sa part de la misère du monde en acceptant du bout des lèvres le quota qui lui était attribué (30 000).
Les attentats terroristes, qui ont fait 250 morts et qui avaient pour but de créer une tension maximale, en opposant la majorité du pays contre une minorité issue de l’immigration, essentiellement arabo-musulmane, ont atteint leur objectif. Si une première mobilisation (cf. les immenses rassemblements du 11 janvier 2015) a exprimé un refus de tout amalgame, il n’empêche que les sondages ont rapidement montré une défiance qui visait aussi les réfugiés. Un sondage de l’Ifop pour le JDD en novembre 2018 relevait que pour 48 % des personnes interrogées l’immigration renvoie à une représentation négative. Si au fil des ans, la crainte de « l’appel d’air » reste constant (autour de ¾ des Français), malgré tout à la question de savoir si « c’est le devoir de notre pays que d’accueillir des migrants qui fuient la guerre et la misère », 61 % répondent par l’affirmative (contre 54 en 2015).
Ainsi on assiste à une situation contrastée : d’un côté, une crainte de l’étranger qui est attisée par un discours politique qui voit là, dans un repli nationaliste et xénophobe, une possibilité de gagner des voix. Discours qui compte sur une disposition naturelle à refuser d’être solidaire avec celui qui vient d’ailleurs et qui, de ce fait, serait menaçant pour nos propres intérêts. L’exploitation de ce thème est telle que le Front National (devenu Rassemblement National), lors des élections présidentielles de 2017, a levé ses habituelles mises en cause des plus démunis, accusés d’ « assistanat », sans doute parce qu’il a été analysé que ce public franco-français pouvait abonder un électorat anti-immigration (1). Et on a vu apparaître une antienne réclamant de privilégier « nos » pauvres plutôt que les immigrés bénéficiant d’allocations supérieures à ce que perçoivent les Français qui ont trimé toute leur vie. Un homme politique (Nicolas Dupont-Aignan) a prétendu que dans un camp de réfugiés en Turquie, à la frontière avec la Syrie, il avait rencontré des exilés qui ne rêvaient que d’une chose : pouvoir profiter des aides sociales de la France !
A Paris, en mars 2016, des habitants d’un quartier huppé se sont mobilisés contre un centre d’hébergement d’urgence prévu à proximité du bois de Boulogne, insultant les autorités de l’État et de la Ville, redoutant de voir leur espace entachés par la misère, celle des sans-abri ou des migrants. La même année, en août, le maire de Lyon, Gérard Collomb, faisait couper l’eau d’une fontaine en pleine période de canicule, pour que des familles roms ne viennent pas s’y désaltérer. En septembre, à Forges-les-Bains, dans l’Essonne, un centre d’hébergement accueillant 91 migrants célibataires a été incendié. Comme en octobre à Montreuil, en Seine-Saint-Denis ou à Loubeyrat dans le Puy-de-Dôme. De nombreux reportages se faisaient l’écho des craintes exprimées dans bien des bourgades quant aux projets d’accueil de migrants. Si la peur de l’étranger peut avoir des causes multiples (en période de crise, la crainte d’une concurrence, la désignation d’un bouc émissaire), je crois à l’importance de l’influence des élites (politiques, intellectuelles, éditorialistes) dont certaines n’ont pas hésité à surfer sur un nationalisme excluant.
Manifestation devant la Préfecture de Haute-Garonne à Toulouse en mars 2017 lors de la remise au Préfet d'un rapport dressant la liste des maltraitances subies par les étrangers dans leurs démarches en préfecture [Photos YF]
Engagement humanitaire
D’un autre côté, des citoyens assez nombreux (même s’il est difficile d’en évaluer le nombre exact) se sont mobilisés. Parallèlement, aux levées de boucliers anti-migrants, des médias citaient aussi des villes ou villages où des accueils collectifs étaient organisés et se déroulaient dans de bonnes conditions. Il y a toujours eu des bénévoles d’associations caritatives venant en aide aux sans-papiers, que ce soit au Secours Catholique, selon une démarche liée à une croyance religieuse, ou au Secours Populaire, selon un engagement plus politique. Mais il semble bien que cet engagement humanitaire (caritatif ou politique, mélangé) va croissant. La raison est peut-être liée au fait que le nombre de migrants a nettement augmenté (compte tenu du contexte international, guerres, misère, crise climatique) mais aussi au durcissement de la position du pouvoir (cf. la loi asile et immigration votée en septembre 2018) et que ce déni de justice offusque de plus en plus de citoyens qui expriment ainsi leur désaccord (par un engagement bien réel ou par une solidarité financière épisodique). Il est possible aussi que le nombre de bénévoles disponibles soient de plus en plus nombreux : on note en effet beaucoup de retraités parmi les personnes engagées dans les collectifs d’aide aux migrants. Des films, comme Welcome et Damien veut changer le monde, ont valorisé la solidarité envers les sans-papiers.
Des organisations travaillent depuis de très nombreuses années en faveur des migrants : le Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI), Réseau Éducation Sans Frontière (RESF), Amnesty International, Cimade (association de solidarité active avec les migrants), Ligue des Droits de l’Homme, Médecins du Monde, Médecins Sans Frontière, Croix-Rouge et, déjà nommés, Secours Catholique, Secours Populaire. De même que l’on a assisté à des créations de petits comités pour venir en aide au Tiers-Monde (par méfiance à l’égard des grandes organisations internationales mais aussi pour mieux visualiser l’action que l’on soutient et éventuellement pour y prendre une part plus active), des collectifs se sont créés en France venant concrètement en aide à des familles. Bien souvent, la mobilisation démarre avec l’inquiétude d’enseignants apprenant que des enfants de leur classe risquent d’être expulsés avec leurs parents, la crainte pouvant être partagée par les autres enfants et leurs propres parents. Des citoyens déjà militants ou au contraire ne s’étant jamais engagés expriment leur désaccord.
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C’est ainsi que la France, aujourd’hui, fourmille de « collectifs de soutien migrants » : que ce soit à Nantes, au Trégor-Goëlo, à Besançon (Solidarité Migrants Réfugiés, SolMiRé), dans l’Yonne, à Dijon, dans le Commingeois, dans le Vaucluse, en Haute-Garonne, dans la Loire (qui a un collectif dans des villages comme Valfleury qui compte 700 habitants), les collectifs Agir à Lyon, à Aix et à Aigues, à Villeurbanne, le collectif Monnier de Mâcon, le collectif « Migrant-e-s Bienvenue 34 » dans l’Hérault, sur des quartiers de Paris comme le collectif d’Austerlitz ou celui de Wilson (Porte de la Chapelle), le Collectif pour une Nation Refuge (CNR) dans les Alpes-Maritimes, Solidarité Migrants du Lochois, collectif de soutien aux réfugiés à Saint-Pierre-des-Corps. Certaines actions émanent, au départ, d’individus ayant spontanément manifesté leur solidarité, le plus emblématique étant Cédric Herrou dans la Vallée de La Roya, mais aussi Martine Landry à la frontière avec l’Italie, à Menton, Gérard Riffard, curé à Saint-Etienne, Chantal Raffanel (RESF) poursuivie devant le tribunal correctionnel d’Avignon pour avoir inscrit elle-même un mineur étranger dans une école, et bien d’autres qui se virent reprocher un délit de solidarité, que ce soit à Calais, à Boulogne-sur-Mer, à Norrent-Fontes, à Loos, à Meaux… Jusqu’à ce bénévole de Perpignan, Denis, qui fut poursuivi parce que la famille arménienne avec enfants qu’il hébergeait faisait la vaisselle et donc cette participation aux tâches ménagères avait été considérée comme une contrepartie (il fut tout de même relaxé).
Des bénévoles sensibles à l’exil
La création d’un collectif peut avoir des origines diverses, parfois cumulées. Dans la période récente, plusieurs groupes sont nés dans le contexte d’arrivées de réfugiés ayant traversé l’Europe. La France devait recevoir son contingent, en particulier des Syriens, et des citoyens se sont proposés auprès du maire de leur village pour accueillir une famille. Bien souvent aucune famille n’a été proposée par les autorités (les Syriens demandaient à aller en Grande-Bretagne), mais le groupe qui s’était constitué, avec déclaration de l’association en Préfecture et s’était fait connaître (article de presse par exemple), a reçu une proposition émanant d’associations militantes ayant connaissance d’une famille à la rue.
Parallèlement à ces engagements bénévoles, on note que des habitants, sans être militants, sans être prêts à agir dans la durée, ont pu exprimer en premier de la compassion parce que dans leur histoire personnelle la question de l’exil est présente. Ici un boulanger venu d’Espagne à l’âge de cinq ans a prêté un temps une maison, ailleurs un retraité, descendant d’immigré italien, a été le premier à se mobiliser quand il a su qu’une famille albanaise (un couple et ses deux enfants) dormait sur le parking de l’hôpital (car la grand-mère y était hospitalisée). Pas connu spécialement pour être généreux, il a accepté de leur venir en aide pendant six mois, fournissant les meubles et un réfrigérateur. Par ailleurs, des municipalités ont organisé l’accueil de migrants, sans faire appel à un collectif indépendant, en mobilisant des conseillers municipaux, dans une autre forme de solidarité citoyenne.
Dans tel village, la plupart des personnes du collectif ont une expérience d’immigration (Italiens, Espagnols, Anglais) et les réseaux fonctionnent (Anglais faisant jouer leurs relations bien au-delà du village). Dans ce même village, on constate une particularité : une personne arrivée voici quarante ans précise qu’il y avait déjà là des Espagnols, des Italiens, des Anglais, des Néerlandais, des Allemands, des Pieds-noirs, une Alsacienne mariée à un Arménien, et des gens venus du Nord de la France. Sur une commune, on se souvient du lycée qui avait accueilli avant-guerre trente réfugiés espagnols. Dans tel autre groupe, les proches soutiens sont des habitants du cru, mais aussi des Italiens, des Espagnols, des Russes. Telle initiatrice d’un collectif, dont la mère est Algérienne, s’était rendue auparavant à Calais et à Grande-Synthe : bouleversée, elle a déclaré en rentrant que sa vie ne pourrait plus désormais être comme avant. Difficile cependant de faire des généralités : on croise aussi des fils d’immigrés qui ne sont pas accueillants, et tel Italien, se souvenant combien il en a bavé, ne voit pas pourquoi il devrait être généreux. Idem pour un descendant de réfugié espagnol. Mais de la même façon, un Français, sans ascendance étrangère, dit : « moi, quand j’étais dans la mouise, personne n’est venu m’aider ». Ou ces bien-pensants, de gauche, qui ne s’engagent pas car « il y a déjà trop de misère ici ».
Les bénévoles sont, en général, un groupe d’habitants d’un même village, d’une même ville, qui, soit en fonction de leur propre histoire, soit par « simple » humanisme, veulent mener une action d’hospitalité. Il s’agit plutôt de la catégorie socio-professionnelle supérieure et classe « moyenne moyenne » : enseignants, travailleurs sociaux, pharmacienne, clerc de notaire, agriculteur engagé dans une Amap, syndicalistes, citoyens ayant parfois déjà un engagement humanitaire (à Amnesty International, à Action des chrétiens pour l’abolition de la torture, à RESF), quelques catholiques pratiquants. Dans un village, le projet est venu de la paroisse catholique se fondant sur l’appel du pape François pour que chaque paroisse accueille une famille de réfugiés. C’est ainsi que dans toute la France, parfois au grand dam de catholiques identitaires, des familles catholiques, pas forcément connues jusqu’alors pour un engagement social, manifestent leur générosité, soit dans une approche solidaire au sens fort du terme, soit par charité avec la conscience de faire une bonne action. Mais tel bénévole a pris ses distances car il n’acceptait d’aider que les Chrétiens d’Orient. Un groupe précise que « les bénévoles sont assez mélangés : des gens aisés et d’autres très modestes, gagnant le Smic ou percevant des petites retraites ». S’il y a beaucoup de retraités parmi ces volontaires, on note aussi des actifs, des « jeunes » de 30-40 ans. Tel groupe comprend dix membres, toutes des femmes, apparemment pas par choix délibéré mais du fait des professions : assistante sociale, infirmières, enseignantes. A propos d’un autre, on me précise qu’il y a « des gens même de droite mais humanitaires ». Il existe aussi des donateurs discrets qui versent en liquide pour éviter que leur conjoint(e) ne le sache !
Le noyau actif se situe le plus souvent autour de dix personnes, entourées d’une cinquantaine autres pouvant intervenir ponctuellement ou à travers le soutien financier (dans un des collectifs, ce sont 80 personnes qui contribuent). Les dons sont soit un versement mensuel (préféré), émanant parfois de donateurs éloignés, soit des chèques ponctuels. Des agriculteurs, non engagés réellement dans un collectif, ont donné du mouton à une famille qui désormais l’achète mais à très bon marché. Discrètement, des habitants ont fourni du matériel, comme des poussettes ou tout le mobilier d’un appartement (suite au décès d’un proche). Ou de l’alimentation, comme ce boulanger bio qui livre deux fois par semaine du pain à une famille, ou cet agriculteur qui offre un pain chaque semaine. La générosité ne suffit pas toujours (alors même qu’elle s’établit parfois autour de 500 euros mensuels pour prendre en charge loyer, assurance, électricité, eau, aide financière qui cesse quand la famille devient autonome) : les familles font alors appel à la Croix-Rouge ou aux Restos du Cœur pour l’alimentation. Un supermarché attribue ses invendus, qu’il n’a plus le droit de détruire, à un des collectifs rencontrés. Lorsque les familles deviennent autonomes, l’aide financière cesse.
Sur le plan juridique et administratif, les groupes font appel aux conseils éclairés de la Cimade ou de RESF (plusieurs groupes sur le département du Gers me diront avoir obtenu les conseils précieux d’une militante RESF, ancienne universitaire, professeur de droit, très compétente et toujours disponible). Une coordination des collectifs migration gersois (CCM32) s’est constituée à l’échelle de ce département, regroupant 17 collectifs, permettant des échanges de bonnes pratiques. Des contacts sont pris également entre collectifs d’une région à l’autre.
Manifestation devant Toulouse-Métropole [Photo YF]
Problème numéro 1, le logement
Les familles aidées (Albanais, Syriens, Kosovars, Arméniens) ont soit le statut de réfugiés ou de demandeurs d’asile (donc en situation régulière), soit sans-papiers, car déboutées, et donc sous menace d’expulsion. La prise en charge de ces dernières a quelques fois posé problème, des bénévoles n’y étant pas favorables. Mais, étrangement, pour beaucoup de collectifs rencontrés, ce caractère illégal n’a pas été un obstacle. D’autant qu’il est considéré que les personnes en situation régulière sont relativement prises en charge par l’État (avec allocations, même modestes) alors qu’évidemment rien n’est prévu officiellement pour les sans-papiers. Des collectifs se sont volontairement orientés vers les migrants déboutés, sous le coup d’une obligation à quitter le territoire français (OQTF), afin de ne pas servir de faire-valoir à l’État, qui a tendance à compter sur les citoyens pour compenser ses manques (un collectif dit : « on n’est pas les boniches de la Préf »). On m’a parlé de « trou de la République » à ce sujet : la création de ces collectifs consacre la défaite de la République qui non seulement prend insuffisamment en charge les personnes reconnues au droit d’asile mais rejette les autres. Dans ce dernier cas, l’autorité publique n’apprécie pas d’être défiée (des collectifs affirment qu’ils feront tout pour empêcher une expulsion et on connaît des situations où les personnes sous le coup d’une expulsion ont été cachées) mais se rassure peut-être en se disant que la générosité publique empêchera un drame (sait-on combien de drames ont été évités alors que des familles avec enfants étaient condamnées à la rue mais secourues par l’assistance des humanitaires). Les collectifs peuvent être confrontés à des dilemmes terribles comme lorsque des parents demandent qu’en cas d’arrestation et d’expulsion leurs enfants restent ici et soient pris en charge par les collectifs. Des pilotes d’avion ont été approchés pour qu’ils refusent d’emmener des expulsés.
La première question cruciale est celle du logement. Dans plusieurs cas, c’est la mairie qui met à disposition un logement appartenant à la Poste ou à la commune, comme un appartement de fonction de l’école inoccupé. Parfois, il a fallu en passer dans un premier temps par une cabane ou une caravane. Dans telle commune, c’est un couple retraité qui a délibérément choisi d’acheter une maison et d’y loger gratuitement des demandeurs d’asile. Sans demander de loyer, y compris quand des droits à l’allocation logement sont ouverts, afin de ne pas être suspecté de vouloir en tirer profit. Il faut trouver un logement adapté, comme lorsqu’il faut loger trois familles en même temps (qui acceptent de vivre sous le même toit), une famille de 9 membres ou une personne handicapée en fauteuil roulant. Tel collectif a obtenu de religieuses catholiques qu’elles accueillent dans leur couvent des réfugiés kosovars, sans se préoccuper de leur religion (l’islam). Des Anglais ont hébergé quelques mois des Arméniens déboutés du droit d’asile, qui ont ensuite été logés dans un gîte rural. Tel hôtel accepte, pour un collectif, de faire des tarifs avantageux lorsqu’il héberge en basse saison.
Le statut du locataire se pose immédiatement : les collectifs doivent rapidement se constituer en association, ce qui dans un premier temps rebute un peu, car on n’est pas préparé à jongler avec ces aspects administratifs. Le collectif doit se déclarer en association, prendre une assurance ou ouvrir un compte bancaire, ce qui n’est pas simple car les banques rechignent, acceptant plus facilement un livret A.
Des situations peuvent être ubuesques comme lorsqu’un régularisé a droit à la Sécurité sociale mais est toujours sans numéro, après avoir eu la Couverture Maladie Universelle (CMU) puis l’Aide Médicale d’État (AME) après sa sortie du Centre d’accueil de demandeurs d’asile (CADA), puis la Protection Universelle Maladie (PUMA) qui a succédé à la CMU. Des bugs informatiques retardent des ouvertures de droit, des délais longs laissent les intéressés dans l’attente et les bénévoles dépassés par ces complications incessantes. Les témoignages rapportent de multiples situations d’injonctions contradictoires selon le principe du « chat qui se mord la queue ».
André Fougeron (1913-1998), Nord-Africains aux portes de la ville (La zone), 1954. Musée de l'Histoire de l'immigration (Paris) [Photo YF]
Injonction paradoxale sur le travail
Sur la dizaine de familles concernées, la quasi-totalité des adultes cherche à travailler, outre leur engagement bénévole, à suivre une formation (y compris pour les enfants en âge de suivre un apprentissage). Si les femmes sont souvent plus dynamiques, les hommes cependant vivent mal le fait de ne pouvoir subvenir aux besoins de leur famille, comme celui-ci qui, aidant à arracher du lierre, fit ce commentaire : « moi, comme ce lierre, je suis un parasite ». La recherche d’emploi est compliquée, bien sûr, puisque la loi n’autorise pas le travail, mais il y a des trous dans la raquette puisque le paiement avec un chèque emploi-service universel (CESU) fonctionne et qu’un sans-papiers peut être amené à devoir payer des impôts. Pôle emploi commente : cette appétence pour le travail aurait une influence positive sur d’autres personnes à la recherche d’un emploi. Certains travaillent au noir, sachant que l’attitude de l’État est surréaliste puisque ses représentants réclament souvent des preuves d’activité professionnelle prouvant leur insertion à des personnes qui n’ont pas le droit de travailler et la circulaire Valls de 2015, permettant une régularisation au terme de cinq années de présence, exige de fournir des attestations d’emploi (ce qui n’empêche pas que des titulaires d’un CDI soient expulsés). D’autres offrent leur service : l’un vient aider efficacement dans une Amap. Ceux qui ont obtenu un titre de séjour, avant d’être recrutés, sont employés par des associations intermédiaires.
Les témoignages rapportent plusieurs cas où les familles, qui ont vécu des événements douloureux, dont tous ne sont pas connus, sont conscientes de l’importance de cette solidarité. Après avoir eu un parcours plus que chaotique, parfois très dangereux avant d’arriver dans ce village, ils sont soudain confrontés à des comportements humains, chaleureux. Les bénévoles sont attentifs, disponibles, conduisant les enfants à l’école, emmenant en voiture tel adulte à son travail, dormant même au domicile pour garder les enfants dans un moment particulier vécu par la famille migrante. Quand une de leurs demandes ne peut être satisfaite, ils s’inclinent (« c’est pas grave »). Alors même que les familles n’ont pas été choisies par le collectif, se créent alors parfois des rapports affectueux : tel couple est décrit comme attentif, jusqu’à fêter les anniversaires des bénévoles. Une Albanaise s’est rendu aux obsèques du mari d’une bénévole qui avaient lieu à l’église. Une bénévole me dit combien elle est attachée aux enfants et à leurs parents, eux-mêmes très attachants. Parfois, les enfants sont accueillis dans les familles de leurs camarades de classe, mais pas toujours : des mises à distance existent, surtout envers des enfants albanais ou roms. La religion peut intervenir également : les Albanais sont le plus souvent musulmans, mais aussi chrétiens (ces derniers ont meilleur accueil). De façon générale, les familles soutenues apprécient de ne pas vivre regroupées : tout en gardant des contacts avec les membres de leur communauté, ils considèrent que leur « isolement » favorise leur insertion. Un couple va jusqu’à se rendre chaque semaine à la Gendarmerie, alors qu’il n’y est pas tenu et un gendarme lui rendant une visite de courtoisie, devant les atermoiements préfectoraux, a lâché : «quelle misère, pourquoi embête-t-on cette famille ? ».
Rond-Point des Rencontres à Saint-Chamond, Loire [Ph. YF]
Ces couples ont le plus souvent le souci de rendre ce qui leur est donné. Ils sont reconnaissants et proposent leur service aux habitants, sont bénévoles au Secours Populaire, aux Restos du cœur. Ils préfèrent prouver par des actes leur reconnaissance plutôt qu’en paroles. En cas d’absence de retour de leur part, il y a un risque de décevoir les bénévoles (quitte à ce que ce soit dû à une méconnaissance des codes sociaux en vigueur dans notre pays). Tout un village (y compris ceux qui ne sont pas engagés dans l’accueil) est admiratif envers une famille « tirée à quatre épingles ». Par contre, dans un département de l’est de la France, on m’a cité des dissensions internes à un collectif où certains refusaient que l’on vienne en aide à une famille dont un membre avait commis un acte de délinquance.
Par ailleurs, les bénévoles sont bousculés lorsqu’ils constatent que des tensions existent entre populations : entre Albanais et Roms, mais aussi au sein de la même communauté, comme les Albanais (des clans et rivalités, parfois ancestrales, liées à un code dit d’honneur meurtrier, plombent les relations, y compris en France).
Pas de chefs
C’est dans l’air du temps : au risque de compliquer la mise en œuvre des actions décidées, en général, les collectifs ne veulent pas désigner un leader. Plusieurs disent fonctionner en « conseil collégial » et lorsque la concertation n’est pas totale cela peut être à l’origine de dissensions pouvant aller jusqu’à un éclatement du collectif. Chacun a une mission en fonction de ses compétences et de ses centres d’intérêt. Les messageries par courriel sont précieuses dans la mesure où elles permettent des échanges rapides, moins chronophages que les appels téléphoniques quand il n’y a pas urgence.
L’investissement des plus actifs est énorme : pas seulement sur les aspects administratifs, mais pour assurer des déplacements pour conduire les personnes aidées à des rendez-vous, pour transporter les enfants à l’école, selon des rythmes, à certains moments, soutenus. Des bénévoles dispensent des cours divers : une institutrice des cours de français à un couple, une organiste des cours de piano à une jeune fille, des bénévoles dispensent des cours de math. Tel garçon joue dans une équipe de foot, une fille apprend la danse flamenco. Plusieurs enfants ont de très bons résultats scolaires, ce qui parfois renforce la mobilisation en faveur de la famille, comme cette jeune fille albanaise qui a des résultats remarquables en anglais, en espagnol, en math et qui est inscrite en latin. Il n’est pas exclu que certains de ces enfants, maîtrisant parfaitement plusieurs langues, aient de l’avenir dans une économie de plus en plus internationalisée.
La plupart des collectifs ont en charge une famille, parfois élargie. L’un est mobilisé auprès de six familles. Interrogés pour savoir s’ils sont prêts à renouveler l’expérience, certains l’ont déjà fait (car des familles sont déjà reparties ailleurs, ne serait-ce que pour ne pas être trop loin d’une ville), d’autres n’en sont pas encore là dans leur réflexion. Ici il faut noter le côté assez spontané de cette solidarité : on ne se questionne pas trop sur le pourquoi et le comment. On est pragmatique, on ne ratiocine pas, on agit. Et il y a effectivement des choses très concrètes à faire. Le plus souvent, ce qui a provoqué l’engagement est ce ressenti viscéral : savoir que des gens, ici, sont dans la rue est insupportable. Point barre. Quelles que soient les raisons de leur venue en France : si ces gens sont partis avec des gosses c’est qu’ils ont des raisons sérieuses. La question n’est même pas de savoir s’il ont fait un bon ou mauvais choix : ils sont là. Certains sont « amochés » suite aux violences qui parfois les ont poussés à l’exil ou celles qu’ils ont subies en cours de route. Les morts en mer et les bateaux, tels que l’Aquarius abandonnés par les États, ont été aussi des motifs à se mobiliser. Des citoyens qui, parfois, ne s’étaient jamais réellement engagés, découvrent des comportements différents (des représentants de l’État faisant preuve d’un peu d’humanité, d’autres se contentant de faire du chiffre), des tensions entre associations œuvrant pour l’État ou des pratiques administratives injustes, ou incohérentes. Cela les incite plutôt à ne pas lâcher prise et à renforcer leur engagement.
Ces citoyens sont l'honneur de la France. Un jour, peut-être, on se souviendra que, dans ces temps difficiles, peu glorieux, certains n'ont pas baisser les bras : même peu nombreux, ils se sont attelés à la tâche et ont prouvé que ce pays, qui a si souvent failli, pouvait être une terre où les droits de l'homme, de la femme et de l'enfant avaient droit de cité. Les "accueillis" pourront témoigner que la France n'avait pas été totalement gangrenée mais qu'ils y avaient rencontré des êtres humains les ayant secourus.
Ex-votos ("tamata" en grec) cloués sur une vraie embarcation récupérée en Grèce, création de l'artiste Kalioppi Lemos, Cité de l'immigration, Porte Dorée, Paris [Photos YF]
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(1) Voir mon article publié par le Monde entre les deux tours de la présidentielle : Les « assistés ne sont plus une minorité désignée à la vindicte, mais des abstentionnistes qu’on espère voir voter » (25 avril 2017).
NB : j’ai échangé avec plusieurs collectifs dont quelques-uns du Gers (Pavie, Montesquiou, Auch, Lectoure, Masseube), et j’ai été en contact avec des membres de comités de soutien à Toulouse, à Besançon, à Saint-Etienne.
Sculpture de Fredrik Raddum, artiste norvégien : l’immigration humaine.
. L’accès aux soins des étrangers en France inquiète le défenseur des droits, 13 mai (Libération).
. Journée mondiale des réfugiés le 19 juin :
. Voir sur Mediapart, 49 articles sur les migrants : L'Europe au défi des migrants.
. Voir sur ce blog :
. Triste est le ciel, film en occitan en soutien aux sans-papiers. Court-métrage de Philippe Espinasse.
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