Les vacances sont là. Nous sommes nombreux à utiliser le train pour rejoindre un lieu de villégiature. Mais...
D'après « Ceux qui m'aiment prendront le OuiGo », Laurent Quessette, revue Transports n° 4
Pour trouver un billet de train à hauteur
de bourse, il faut désormais adapter ses
voyages aux conditions de remplissage des
trains, afin que ceux-ci soient rentables.
On est loin du service public.
La SNCF l'assure pourtant : « nous sommes fiers
de notre statut public ». Et de décliner
quelques points de sa ligne de conduite,
dont celui-ci : « Vos transports sont notre
activité : nous sommes au service du public. »
Au service du public, vraiment ? Laurent
Quessette, juriste spécialiste du transport ferroviaire
et membre du réseau de chercheurs
Ferinter, n'est pas loin de penser exactement
l'inverse. Selon lui, la SNCF, en se lançant
dans une banale quête de profit, a retourné la
logique qui prédominait.
Désormais, c'est le
client qui doit se mettre au service de la SNCF
s'il veut voyager, et non l'inverse.
Le salut par la rentabilité
Laurent Quessette situe l'un des tournants pris par l'entreprise
en 1971, date à laquelle un décret lui octroya
une autonomie de gestion. Dès lors, bien que
la notion de « service public » restait inscrite
dans ses statuts, elle perdait singulièrement
de sa force. La recherche de rentabilité allait
s'imposer, et se caractériser par exemple par
la fermeture des petites lignes trop déficitaires
– en dépit de l'égalité de traitement et de la
continuité du service dues aux voyageurs sur
l'ensemble du territoire.
L'évolution de la tarification mise en place à
la SNCF est caractéristique du franchissement
du rubicond opéré par l'entreprise. Finie la
tarification au kilomètre, place au « yield
management » : empruntée aux compagnies
aériennes, cette méthode de fixation du prix
du billet repose sur un algorithme brassant en
direct divers paramètres (date de réservation,
taux de remplissage du train, trajet, etc.) pour
fixer les prix billet par billet. L'objectif : optimiser
le remplissage des rames et maximiser
les profits.
Externalisation du travail sur les utilisateurs
Avec l'arrivée du low cost, cette logique marchande
a effectué un nouveau bon en avant.
Avec le Ouigo par exemple, le consommateur
paie moins cher, mais il doit pour cela renoncer
à un certain confort (pas de wagon-bar,
20 % de sièges en plus par wagon, nombre
de bagages limités, etc.) Il doit aussi se plier
aux exigences de l'entreprise : se présenter
une demi-heure avant le départ, aller sur
internet pour réserver son billet… Et même
effectuer certaines tâches autrefois dévolues
au vendeur : il doit par exemple imprimer
lui-même son billet (ou le télécharger sur son
smartphone).
Cette « externalisation du travail
sur les utilisateurs », comme la décrit Laurent
Quessette, va encore plus loin avec les TGVPop,
une autre trouvaille de la SNCF. En voici
le fonctionnement : 15 jours avant la date de
départ, les voyageurs peuvent voter pour un
trajet. Si le nombre de suffrages est suffisant,
ils reçoivent un code par téléphone, trois à
quatre jours avant le départ. Ils doivent alors
se dépêcher d'aller sur internet pour réserver
leur billet à l'aide de ce code car, évidemment,
il y a beaucoup plus de votants que de places
disponibles… Avec TGV-Pop, les clients travaillent
pour assurer un bon remplissage des
rames. Mais ils doivent aussi être sacrément
souples dans leur organisation personnelle :
ils n'obtiennent jamais la certitude de pouvoir
partir plus de trois jours avant le départ.
D'autres offres proposent aussi des tarifs spéciaux aux personnes qui voyageront sur des
strapontins, ou à celles qui acceptent l'éventualité
de ne pas avoir de place assise du tout
durant le voyage !
Des contraintes, du travail, des inégalités de
traitement, la possibilité de voyager debout ou
de voir son train annulé trois jours avant le
départ… L'usager paye (cher) de sa personne
pour voyager à moindre coût.
Quant à la
SNCF, elle a, à travers cette politique, tourné
le dos à la notion de service public.
«Le service
public affranchit, alors que le low cost opprime.
Le low cost symbolise le basculement de la société
et d'une part importante de la population dans
la précarité », analyse Laurent Quessette.