En 1971 un jeune médecin vint s'installer à Vaugneray : le docteur Yves Servajean. Il exerça dans notre village jusqu'en 1991. C'était un médecin généraliste, un « médecin de famille » comme on disait alors, dévoué à ses patients, prêt à se déplacer à toute heure du jour ou de la nuit.
Voici le témoignage d'une de ses
patientes :
« Au
tout début de mon huitième mois de grossesse, après une nuit d’intenses
douleurs, j’ai téléphoné au docteur Servajean qui est venu immédiatement. Il a
diagnostiqué une torsion ovarienne causée par un kyste, ou alors une crise
d’appendicite — à laquelle il ne croyait pas vraiment. Il a alors appelé une
ambulance, fait mon sac, attendu que l’ambulance arrive pour partir. Après trois
journées d'attente et des examens divers, les médecins de la clinique ont fini
par m’opérer… de l’appendicite. Mais voilà, ce n’était pas une crise
d’appendicite, mais bel et bien un kyste sur un ovaire, qui s’était tordu. J’aurais
pu perdre la vie ou celle de mon bébé. Je suis infiniment reconnaissante au
docteur Servajean pour son dévouement et la justesse de son diagnostic ».
Certes,
c'est le rôle d'un médecin de sauver des vies humaines, et il y a eu d'autres très
bons médecins à Vaugneray. Mais le docteur Servajean avait quelque chose de
particulier : c'était un précurseur, qui a changé notre regard sur notre
alimentation et sur notre santé. Il a laissé sur notre village une empreinte
qui n'est pas près de s'effacer.
Aujourd'hui
l'alimentation biologique semble faire consensus. On pense généralement que les
produits bio sont meilleurs pour la santé et pour l'environnement. À Vaugneray
plusieurs exploitations agricoles font du bio, ou à défaut de l'agriculture
raisonnée. Le bio, on le trouve sur les marchés, dans les boutiques bio, et
même dans les grandes surfaces. 50 % de produits bio et
locaux dans la restauration collective, c'est prévu pour 2022. Mais à
Vaugneray, le virage du bio a été pris bien plus tôt, dès les années 1970, avec
l'arrivée du docteur Servajean. Oser prétendre qu'il
pouvait y avoir un rapport entre notre état de santé et le contenu de notre
assiette, c'était une approche radicalement nouvelle. Le docteur Servajean
avait cette audace : il mettait en garde contre les denrées polluées par des
pesticides ou ayant subi des transformations préjudiciables à la santé, et il
conseillait de passer à une alimentation saine et naturelle, biologique de
préférence.
Je
me souviens qu'il recommandait en particulier la consommation d'huiles bio « de
première pression à froid » — formule que j'entendais pour la première
fois et qui résonnait à mes oreilles un peu comme une langue étrangère. Mais où
trouver de tels produits, dans ces temps reculés où il n'y avait bien sûr pas
de boutique bio à Vaugneray, ni même à Craponne ? Je suis descendue à Lyon, et
après une longue errance dans les petites rues de la presqu'île, j'ai fini par
dénicher une boutique à la devanture verte qui s'appelait « Les Quatre
Saisons ». On y trouvait tous ces précieux aliments que le Casino de
Vaugneray (qui avait pourtant une devanture verte à l'époque) ne connaissait
pas encore.
Vous
êtes-vous parfois demandé pourquoi il y a à Vaugneray une boutique bio
florissante, où viennent s'approvisionner non seulement les Valnégriens, mais
aussi des clients qui viennent de Brindas, de Messimy, ou de plus loin encore ?
Eh bien je vais vous raconter la petite histoire de la bio-boutique. Il était
une fois une dame passionnée par l'alimentation bio qui voulait ouvrir une
boutique dans un village près de Lyon. Par le plus grand des hasards, elle
atterrit à Vaugneray, sans se douter le moins du monde que ce village, sous
l'impulsion du docteur Servajean, était en train de s'imprégner d'une culture
toute nouvelle, la culture du « bio ». Sa boutique fut un succès
immédiat, et cela dure toujours. Dans cette boutique, les anciens évoquent
parfois le souvenir du docteur Servajean. Et voilà que se créent des liens : on
se retrouve ensuite pour boire le thé ensemble, et partager un cake à la farine
de châtaigne bio !
Le
docteur Servajean était aussi novateur dans son approche de la médecine. Il
n'hésitait pas le cas échéant à faire appel à des médecines complémentaires, des médecines dites « douces »,
qui venaient en plus de l'exercice
classique de la médecine. Par exemple il avait parfois recours à l'homéopathie
(que j'ai découverte grâce à lui). Il expliquait aussi qu'on pouvait améliorer
des douleurs articulaires avec des cataplasmes d'argile, et prévenir les
infections urinaires avec de la canneberge. Une personne atteinte d'une hépatite
C avait éliminé le virus « comme la grippe », au dire du spécialiste
qui suivait l'évolution de sa maladie à l'hôpital. Elle avait pris du Desmodium
pendant plusieurs mois, sur les conseils du Dr Servajean — on ne saura jamais
si le Desmodium avait contribué à cette guérison « spontanée ». Le
Desmodium est une plante africaine dont les propriétés hépatoprotectrices ont été depuis reconnues
et qui se trouve aujourd'hui dans les boutiques bio et
en pharmacie. Mais à l'époque il fallait le commander à l'association « Solidarité »
de Toulouse, dont l'action a permis l'introduction de cette plante en France.
Là aussi le docteur Servajean était en avance sur son temps. Si la
phytothérapie occupe aujourd'hui une place importante dans le traitement de
nombreuses maladies, elle était peu pratiquée par les médecins au siècle
dernier. Il a fallu au docteur Servajean un certain courage pour sortir des
sentiers battus.
Alors,
ayons une pensée attendrie pour cet homme remarquable, qui a tellement marqué
notre village qu'aujourd'hui, des années après son départ, on chante encore ses
louanges devant les étals du marché de Vaugneray !
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