LE BLOG DE ANNA BLANK
(Fable improvisée sur un coin de table un dimanche matin)
Maman, à quoi tu penses ?
- A des histoires de grands.
- Tu peux me les raconter ?
- Euh… D’accord, je vais essayer. Choisis trois animaux.
- Un lapin, une poule et un chat.
- Alors il était une fois un lapin, une poule et un chat qui partageaient le même jardin. Le jardin était beau, plein de belles plantes, d’arbres et de fleurs ; il y avait dedans un grand potager où poussaient de délicieux légumes, et une rivière regorgeant de poissons. Comme tous les jardins, celui-ci devait être entretenu, c’est-à-dire qu’il fallait qu’on s’en occupe. Pour cela, le lapin, la poule et le chat se dirent qu’ils allaient se retrouver un jour pour déjeuner ensemble et qu’ils se mettraient d’accord sur ce qu’il fallait faire, qui ferait quoi et dans quel ordre. Chacun devait apporter quelque chose à manger à ce déjeuner. Le jour du déjeuner arriva et chacun se mit en route. A ton avis, qu’avaient-ils apporté ?
- La poule avait pris des graines, le lapin des carottes et le chat des croquettes.
- Non, le chat avait apporté un poisson. OK ?
- OK.
- Bon, les voici donc partis, chacun de son côté, pour aller au déjeuner. Mais voilà que le renard, qui n’avait pas été invité et qui était de particulièrement mauvais poil ce jour-là, décida de venir mettre son grain de sel dans cette histoire. Il se mit en travers du chemin de la poule et l’interpella. « Oh la! Poule, où vas-tu comme ça ? ». « Je vais déjeuner avec le chat et le lapin, j’ai apporté des graines. » « Ah, mais sais-tu que j’ai croisé le lapin et qu’il m’a dit qu’il avait l’intention de vous faire manger des carottes à tous les trois ? Tu ferais mieux de te méfier, car je crois qu’il a dans l’idée de faire de toi et du chat des lapins, afin qu’il n’y ait plus que des carottes qui poussent dans le jardin. » « Quoi ?! dit la poule, Moi, manger des carottes ? Il ne manquerait plus que ça, il va voir de quel bois je me chauffe, ce lapin ! » Et elle reprit sa route, bien décidée à ne pas se laisser imposer le contenu de son assiette. Le renard quant à lui attendit de voir passer le lapin, puis le chat, et il leur raconta à tous deux des histoires du même genre, si bien que quand le lapin et le chat se mirent à table avec la poule, ils étaient eux aussi persuadés qu’on allait les empêcher de manger ce qu’ils avait prévu, ce qu’ils aimaient manger. Il raconta même au lapin que le chat et la poule avaient prévu de lui faire manger plein de graines pour qu’il devienne très gros et qu’ils puissent ensuite le manger. Le lapin aurait dû trouver ça bizarre mais quand on a peur, on est prêt à croire pas mal de salades, et c’est ce qui se passa. Donc une fois que les trois amis furent attablés, lorsque la poule s’adressa à eux en disant, « Amis, j’ai apporté des graines, voulez-vous en goûter quelques unes ? » que crois-tu que dirent le chat et le lapin?
- « Non ! »
- Voilà, exactement, ils crièrent « Non » avec autant de détermination que toi, et pire encore, ils se mirent à se chamailler et à se lancer leurs assiettes à la figure. Au milieu des cris, on entendait le lapin hurler : « C’est des carottes qu’il faut manger, tout le monde sait bien que ça rend aimable et que ça donne les fesses roses ! ». « Moi, manger des carottes ! hurlait le chat, et puis quoi encore, tu as bien regardé mes oreilles ? C’est plutôt toi qui devrait manger du poisson, tu serait moins idiot ! ». Et la poule hurlait aussi d’une voix perçante « Taisez-vous ! Tout le monde sait que les graines sont la base d’une alimentation saine et équilibrée ! » C’était une terrible cacophonie, pour utiliser un mot que tu aimes beaucoup.
- Maman, elle est pas bien cette histoire.
- Oui, oui, mais attend, ce n’est pas fini. Tu te souviens de la petite fille qui avait crié que l’empereur était tout nu alors que les habitants de la ville faisaient semblant d’admirer ses habits neufs ?
- C’était un petit garçon.
- Tu es sûre ? On vérifiera. Bon, dans cette histoire, c’est une petite fille qui passait près de là et qui, intriguée par ces cris, s’approcha des trois compères et leur demanda pourquoi ils se chamaillaient ainsi. Elle réussit tant bien que mal à les faire se calmer pour pouvoir entendre ce que chacun avait à dire. Quand ils eurent fini, elle prit la parole. « Ecoutez, pour commencer, réfléchissez à ça : vous vous êtes tellement chamaillés au sujet de ce qu’il ne fallait pas mettre dans vos assiettes que vous n’avez même pas mangé : j’entends le ventre du lapin gargouiller. Or, quand on a faim, on est de mauvaise humeur, pas vrai ? »
- Vrai. Je peux avoir du chocolat ?
- Quand l’histoire sera finie, il n’y en a plus pour très longtemps. Donc la petite fille leur conseilla de se remettre à table et de manger leur plat. Quand ils furent rassasiés et un peu calmés, elle reprit la parole. « Bon, pourquoi est-ce que vous vous êtes retrouvés pour déjeuner ? » Le lapin, la poule et le chat se regardèrent un peu penauds. « On avait prévu de discuter de l’entretien du jardin. » « Alors, dit la petite fille, vous voyez bien que pendant que vous vous chamaillez, le jardin n’est pas arrosé, les légumes ne sont pas cueillis, les buissons ne sont pas taillés…Il est clair que vous avez tous les trois des idées bien différentes sur ce qu’il faut mettre dans son assiette pour faire un bon repas. Mais n’avez vous pas plus important à faire aujourd’hui que de vous préoccuper de ce que mange votre voisin ? ». Et c’est ainsi que le lapin, la poule et le chat se réconcilièrent. Ou plutôt, ils continuèrent à se disputer, car ils n’étaient pas toujours d’accord sur la façon de s’occuper du jardin : mais au moins, ils se disputèrent sans se lancer leurs assiettes à la figure.
- Oui mais, maman…
- Quoi ?
- Le renard, il ne va pas manger la poule ?
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