D'après un article publié dans le numéro de Février / Mars 2016 du Postillon, Journal de Grenoble et sa cuvette.
La Banque postale se proclame « banque citoyenne » et assure des missions de service public. En théorie. Un journaliste du journal grenoblois Le Postillon a assisté à un séminaire interne, destiné aux salariés de La Poste en Isère. Gageons que le fonctionnement est le même dans tous les départements français...
Entre slogans managériaux absurdes et remises de prix aux commerciaux « 100% performants », les directeurs locaux expliquent aux « chargés de clientèle » comment « se gaver » en aiguillant leurs clients vers des systèmes d’endettement continu. Ce n’est pas l’intérêt du client, ou de l’usager, qui compte, mais les taux que pourra engranger la banque. Récit.
(...) Au programme, un bilan financier de l’année écoulée, les objectifs pour l’année suivante et la remise des prix pour les vendeurs les plus méritants.
L’art et la manière de pomper du fric
Au niveau ambiance, on assiste à un subtil mélange entre le Club Med et une conférence de presse du ministère du Travail sur les chiffres de chômage. C’est-à-dire qu’on a à la fois une musique entraînante boostée à plein volume et des vidéos déplorant que les objectifs fixés par la direction n’ont pas été atteints. Le résultat est assez pénible pour les oreilles comme pour les yeux. D’autant que la Banque Postale a visiblement décidé de faire des économies en experts en communication pour se contenter de rajouter 100 % devant tous les mots qui passent. Tout au long de l’après-midi on apprendra qu’à La Poste, ils sont « 100 % innovants »,« 100 % multicanal », « 100 % réussite », « 100 % résultats », « 100 % courrier-colis », etc. Et avant tout, « 100 % clients », la formule qui apparaît sur presque tous les documents projetés et qui sera maintes fois répétée par les intervenants : « Pour relever les défis qui nous attendent, il faut qu’on soit orienté dans une stratégie 100 % clients ».
Qu’est-ce que ça veut dire ? Pas grand chose, comme toujours avec la novlangue. J’ai quand même pu noter que leur obsession pour les « clients » ne s’attardait pas sur leur bonheur, ni sur leur intérêt. L’objectif est évidemment plus prosaïque : comment leur pomper le plus de fric. La Banque Postale a beau se targuer de« créer de la valeur en conservant des valeurs », elle a beau avoir à son crédit« d’accueillir tout le monde, même les plus fragiles » — ce qui est une de ses missions de service public — elle n’en reste pas moins une banque, c’est-à-dire une institution qui cherche avant tout à faire de l’argent par tous les moyens. Épargne, assurances, prévoyance, crédit à la consommation : tous les coups sont permis afin de « transformer un pépin en pépite », comme le dit Patrice Bouchard, le directeur du centre financier de Grenoble. Même les « jeunes » font partie des « cibles prioritaires » : « Quand on rencontre un client qui a des enfants de plus de 12 ans, il faut demander le numéro de téléphone et l’adresse mail de leurs enfants », assène le directeur commercial Hugo Bajic. Il n’y a pas d’âge pour se faire entuber.
Crédit à la consommation : « Vous allez vous gaver »
Je connais mal le milieu de la banque et peut-être sont-ils tous comme ça. En tous cas, Julien Tétû est une de ces personnalités dont l’écoute suscite immédiatement la répulsion. (...) Son truc, c’est le crédit à la consommation, et s’il est là aujourd’hui c’est pour que les salariés isérois de la Banque Postale convainquent un maximum de clients de tomber dans cet attrape-nigaud. Alors il s’agite devant des graphiques, en déplorant qu’il y ait seulement 10 000 clients aujourd’hui, et en fixant l’objectif pour 2020 : « 17 000 clients. Il nous en reste 7 000 à aller chercher. Ça va être du bonheur », assure-t-il sans rire. Et enchaîne : « En Isère il y a 60 000 clients éligibles sur le crédit renouvelable : vous allez vous gaver ».
Le crédit renouvelable, avec sa carte de crédit associée, est la nouvelle obsession de La Banque Postale. Ce crédit permanent permet aux clients qui ont souscrit à l’offre de faire leurs dépenses à crédit sans devoir revoir un conseiller, ce qui entraîne généralement dans un cercle vicieux d’endettement continu. Autrement dit, c’est très juteux, d’autant que les taux d’intérêts sont à deux chiffres. En 2009, le PDG de la Poste s’était engagé devant la commission des affaires économiques à « ne pas proposer de crédit renouvelable afin de ne pas pousser à l’endettement ».
« Emprunter, emprunter le plus possible »
Depuis 2012, la supposée « banque citoyenne », comme le disent les plaquettes de communication, a pourtant mis en place ce système et presse ses salariés de« s’assurer du succès de sa commercialisation ». « Il y a 21 milliards d’euros chez les clients à aller chercher. (…) Voila la troisième raison pour laquelle on va s’éclater en 2016. Le meilleur conseil que vous pouvez donner à vos clients c’est d’emprunter, et d’emprunter le plus possible ». Emprunter pour quoi ? Pour faire grossir le chiffre d’affaires de la Banque Postale, enfin.
L’entubage des gens est un sport à part entière, qui requiert donc un minimum de technique. Julien Tétû explique : « Il faut toujours aller chercher plus haut que ce que son client demande. S’il demande 8 000 euros pour une voiture, elle coûte sûrement 10 000 alors faites lui emprunter 10 000... et puis faites rajouter un toit ouvrant, et puis la peinture métallisée, et puis l’accroche caravane, et puis la caravane. (...) ». Et ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que « la clef d’un crédit à la consommation, c’est qu’un client qui y a goûté, il y retourne toujours (…). Vous l’aurez compris, au moment où notre groupe vit un moment majeur, il faut faire en sorte que l’Isère fasse un carton sur les crédits à la consommation. Je compte sur vous et toute La Poste compte sur vous. ».
Mise en compétition maximum
(...) Au niveau du « pilier 4 », c’est-à-dire les ventes bancaires réalisées directement au guichet, ce sont les bureaux de Morestel et de la Mure « qui ont réellement surperformé », ce qui permet à l’Isère d’avoir la « troisième meilleure performance au national ». Les deux directeurs d’agence repartent eux de la tribune avec un« bon de deux cents euros pour fêter ça avec leurs équipes ». Joie.
En ce qui concerne le « Challenge La Poste Mobile », consistant à vendre le plus d’abonnements à la marque de téléphonie de La Poste, c’est le bureau du Dauphiné qui a « réellement surperformé ». Youpi ! Je vous passerai le nom des gagnants des« challenge défi conseillers », « challenge défi managers », « challenge défi mandats de gestion », celui qui a vendu le plus d’assurances-vie, celui qui a fait le plus de crédits-conso, etc. À la Poste, comme dans toutes les grandes boîtes aujourd’hui, le néo-management impose de mettre tout le monde en concurrence : les bureaux entre eux, les salariés aussi. Des indicateurs sont mis en place avec un système de points : un conseiller bancaire qui aide un client à résoudre un problème n’a aucun point, alors que celui qui lui a fait prendre une assurance en a quatre. Seule la rapacité est bénéfique !
Adieu service public
L’esprit sportif gangrène aussi le monde de l’entreprise. Des salariés de la Banque Postale peuvent ainsi recevoir des mails comme ça : « Saint-Egrève réalise la meilleure performance en déposés arrêtés à ce mercredi soir mais la course n’est pas finie et Pontcharra a le potentiel pour reprendre la tête » ou « C’est Karine XXXX (de Pont-de-Chéruy) qui mène le bal avec 120 points au compteur (bravo !!!) suivie par Jérémy XXX et ses 90 points. Il vous reste encore la fin d’après-midi pour atteindre le Graal minimum des 80 points (ou plus) pour être gagnant !!! ».
Vous vous en doutez certainement : si je me suis incrusté dans cette sauterie, c’est parce que j’avais été rencardé par quelques salariés. Car il en reste quelques-uns qui ont en horreur de tels événements supposément « fédérateurs » et la fuite en avant libérale de ce qui était jusqu’à peu une banque publique. Ils aimeraient faire leur boulot simplement, trouver pour les « clients » les solutions adéquates, ne jamais essayer de les arnaquer.
Inutile de dire qu’ils n’ont eu aucun prix.
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