Si vous n’avez jamais entendu parler du Dicamba, soyez rassurés, il arrive à grands coups d’hectolitres, lui et son cortège d’effets collatéraux.
Alors même que la France claironne qu’elle votera contre le prolongement de l’autorisation par l’Union Européenne du glyphosate pendant dix ans, elle précise par la voie du ministre de l’agriculture, Stéphane Travert qu’il n’est pas question de l’interdire immédiatement : « Le Premier ministre m’a chargé, avec mon collègue […] Nicolas Hulot, de trouver les moyens d’établir un calendrier de sortie de ce produit (le glyphosate), le calendrier le plus rapide mais qui devra trouver la bonne trajectoire pour permettre la transition nécessaire, notamment dans les professions agricoles. Cette trajectoire doit permettre aux agriculteurs de diminuer progressivement l’utilisation de cet herbicide. C’est la durée de cette transition que le gouvernement français doit encore trancher. »
Et d’ajouter : « Si on reporte à dix ans et que pendant dix ans on ne fait rien, dans dix ans on sera exactement au même niveau qu’aujourd’hui. Donc, nous devons […] donner les moyens à la recherche de trouver des produits de substitution.»
Il n’y aurait donc selon le ministre Travert qu’une énième solution chimique pour se substituer à un herbicide dont les effets sur la santé sont plus nombreux et plus graves chaque jour. En Auvergne Rhône Alpes une mère vient de porter plainte contre Monsanto accusant son produit phare, le Roundup (à base de glyphosate) d’être la cause des malformations de son enfant. Aux États-Unis des milliers de plaignants souffrant de lymphome accusent Monsanto et le Roundup d’être à l’origine de leur pathologie.
Monsanto se défend sans relâche face à ces accusations qu’il réfute en s’appuyant sur une littérature scientifique riche concluant systématiquement en l’absence de corrélation entre l’exposition répétée au glyphosate et tels ou tels cancers ou malformations. Même l’agence européenne pour la sécurité alimentaire, l’EFSA, ne considère pas le glyphosate comme substance cancérogène se positionnant ainsi à l’opposé des conclusions de l’OMS.
Il semble cependant que le géant de l’agrochimie emploie des méthodes peu recommandables pour obtenir de la communauté scientifique qu’elle produise des études favorables au Roundup. Selon le site Sciences et Avenir outre une rémunération généreuse, les scientifiques se voient proposer et acceptent de signer des articles rédigés par les salariés de Monsanto eux-mêmes. Cette technique est connue sous le nom de ghostwriting en anglais que l’on pourrait traduire en français en écrivains fantômes (ou nègres). Plus rien d’étonnant alors à ce que le glyphosate trouve grâce aux yeux d’une partie de la communauté scientifique comme à ceux de l’EFSA qui base ses conclusions sur les études produites par les industriels comme le révèle l’Obs dans son cahier spécial du 5/10 (voir ici) et The Guardian.
Un problème ne venant jamais seul, les industriels de l’agrochimie, Monsanto et Bayer en tête, font face à un phénomène que beaucoup d’experts avaient anticipé : la résilience de Dame Nature et sa capacité d’adaptation.
Ainsi aux Etats-Unis, après des décennies d’un emploi massif d’herbicides à base de glyphosate, les agriculteurs américains ont constaté leur complète innocuité sur les mauvaises herbes devenues résistantes. Loin de remettre en cause leurs pratiques agricoles, les fermiers ont sollicité les semenciers chimistes pour qu’ils leur proposent une solution de remplacement. Et c’est ainsi qu’entre en piste le Dicamba cité en préambule.
Au dire de ceux qui l’ont testé, pas un seul représentant du règne végétal ne lui résiste. Son pouvoir de destruction serait même jusqu’à 400 fois supérieur au glyphosate (cf. organicauthority) – alléluia.
Bien sûr chaque paysan souhaitant épandre cet herbicide devra au préalable ensemencer ses champs avec des graines génétiquement modifiées pour survivre au Dicamba. Graines que les semenciers vendent à un prix nettement supérieur à celui pratiqué pour celles qui résistaient alors au glyphosate.
Seulement il y a un hic. Le produit miracle s’avère difficile d’emploi : il a une fâcheuse tendance à migrer pour se répandre là où on ne l’attend pas forcément. Et comme Attila, là où il passe l’herbe trépasse.
Ainsi donc le Dicamba sous l’effet de la chaleur et de l’humidité se vaporise : le liquide devient gaz et voyage bien au-delà de sa zone d’épandage. Depuis un an que sa commercialisation est autorisée aux États-Unis, les pertes de production de soja consécutives à un nuage de Dicamba représentent 4 % de la production annuelle américaine. Ce phénomène rencontré dans 21 états américains sur les 30 produisant du soja tend à se généraliser et les plaintes à se multiplier.
Monsanto comme Bayer s’insurgent de telles accusations et cherchent un dérivatif en pointant du doigt les agriculteurs qui seraient la cause de leur propre malheur en ne respectant pas les procédures d’épandage du Dicamba.
« Il faut du temps pour comprendre et maîtriser les nouvelles technologies », dit M. Scott Patridge, un des vices-présidents de Monsanto qui propose d’améliorer la formation des agriculteurs déversant l’herbicide ravageur pour solutionner le problème et disculper son employeur (cf. New York Times).
Nombreux sont les agriculteurs américains à déclarer qu’ils n’ont d’autre choix aujourd’hui que de semer des graines génétiquement modifiées pour résister aux herbicides employés par leurs voisins et ainsi espérer récolter quelque chose, le temps des moissons venu.
Certains agriculteurs victimes du Dicamba vont probablement devoir mettre la clé sous la porte. Comble de leur malheur leurs exploitations seront rachetées aux enchères par ceux-là mêmes qui emploient les semences et herbicides commercialisés par Monsanto (cf. New York Times).
Quel est alors pour le client de Monsanto l’intérêt de poursuivre de telles pratiques agricoles risquées? Apparemment la promesse d’un abaissement des coûts de production et un profit immédiat accru pour lui et Monsanto au mépris des conséquences irréversibles endurées par l’environnement et supportées financièrement et socialement par la société toute entière sur une échelle de temps nettement plus longue.
Que peut-on proposer contre cette folie?
On mesure ici à quel point les politiques de part et d’autre de l’Atlantique ignorent l’urgence écologique en en faisant une question à part alors qu’il s’agit d’une question centrale. C’est autour et à partir de l’écologie que doit se penser la politique de toute la nation. Le temps de l’écosystème, c’est le temps long. Le temps court de la finance et du productivisme saccage tout. La reconquête du temps long est la principale exigence. C’est le but de la planification écologique : mettre en cohérence dans le temps et dans l’espace les mesures nécessaires pour faire bifurquer le modèle de production, de consommation et d’échanges. Quelques mesures de bon sens s'imposent:
- Ne pas prélever sur la nature davantage que ce qu’elle peut reconstituer ni produire plus que ce qu’elle peut supporter
- Consommer autrement : soutenir la création de coopératives de consommation en lien direct avec les producteurs
- Refuser la brevetabilité du vivant à tous les niveaux
- Refuser les OGM, bannir les pesticides nuisibles en commençant par une interdiction immédiate des plus dangereux (glyphosate, néonicotinoïdes, etc.)
- Sanctuariser le foncier agricole et naturel et lutter contre l’artificialisation des sols
- Développer l’agriculture biologique, instaurer une agriculture diversifiée et écologique
- Favoriser les circuits courts, la vente directe, la transformation sur place et plafonner les marges de la grande distribution pour garantir des prix rémunérateurs aux producteurs.
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