(article rédigé d'après le journal de la Cimade, février 2017)
Bien sûr, la solidarité n’a jamais été inscrite dans aucun code comme un délit. Cependant, des militants associatifs qui ne font que venir en aide à des personnes, dont de nombreux enfants, en situation de très grande précarité, victimes de décisions dangereuses, violentes, voire inhumaines, se retrouvent aujourd’hui face à la justice.
Avec l’instauration de l’état d’urgence, et dans le contexte baptisé « crise migratoire », on assiste à une recrudescence de poursuites visant à empêcher l’expression de la solidarité envers migrants, réfugiés, Roms, sans-papiers…
Au-delà, c’est le soutien à l’ensemble des personnes étrangères qui tend à devenir suspect, l’expression de la contestation des politiques menées qui est assimilée à de la rébellion et au trouble à l’ordre public.
Alors, le « délit de solidarité », qu’est ce que c’est ?
La sanction de ce qui se rapproche le plus du
délit de solidarité apparaît dans le code noir
de 1685 et dans un arrêté de 1802 qui prévoyaient des peines pour ceux qui offraient
l’hospitalité ou l’assistance aux esclaves.
Sous le régime de Vichy, un décret-loi du 2
mai 1938 fait naître l’infraction d’aide à l’entrée,
à la circulation ou au séjour irrégulier
d’un étranger. Il dispose que « tout individu
qui par aide directe ou indirecte aura facilité
ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou
le séjour irréguliers d’un étranger sera puni ».
Cet écrit a été repris à l’identique dans l’ordonnance
du 2 novembre 1945.
Dans les années 90, c’est ce texte qui a permis
de fonder les poursuites contre les associations
venant en aide aux étrangers sans
papiers, même à titre désintéressé, ce qui a
été validé par un arrêt de la chambre criminelle
de la Cour de cassation du 16 octobre
1996 (N° 95-81875).
La loi du 22 juillet 1996 entérine la pratique
et introduit la notion d’immunité familiale,
immunité étendue, par la loi Sarkozy du 26
novembre 2003, aux personnes morales et
physiques quand l’aide apportée l’est « face
à un danger actuel ou imminent, nécessaire
à la sauvegarde de la vie ou de l’intégrité
physique ».
Aujourd’hui le délit de solidarité est prévu par l’article
L. 622-1 du Ceseda (Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile) qui dispose que : « Toute
personne qui aura, par aide directe ou indirecte,
facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la
circulation ou le séjour irréguliers, d’un étranger
en France sera punie d’un emprisonnement
de cinq ans et d’une amende de 30 000
euros».
Les textes législatifs
n’ont pas introduit le critère de but
lucratif pour caractériser ce délit, critère pourtant
visé explicitement et exclusivement par
la convention de Schengen. Donc les personnes qui agissent dans un but désintéressé sont sanctionnables.
Il a fallu attendre la
loi du 31 décembre 2012 pour exempter les
actions humanitaires désintéressées, mais elle ne l'a fait que pour les actions relatives à l’aide au séjour, et non pour celles relatives à l’aide à l’entrée et à la circulation. L'aide à l'entrée et à la circulation sont pénalement sanctionnables, alors qu'il est dans les faits pratiquement impossible de les différencier de l'aide au séjour.
Certes le droit pénal sanctionne les infractions
qu’il définit, mais c’est aussi le devoir de
la société civile de protéger le respect des
droits humains.
Pourquoi on en parle ?
Au delà des textes, que se passe t- il au quotidien
dans la vallée de la Roya?
Une partie de la population qui vient en aide
depuis des mois aux migrants à la frontière
franco-italienne sur les hauteurs de Nice est
épuisée, l’autre continue coûte que coûte à
héberger, aider, nourrir.
Des familles hébergent et nourrissent 20 à
30 personnes par jour, des maraudes jusqu'à Vintimille sont organisées. Le travail se répartit entre les communes et les bénévoles
venus d’ailleurs.
La Roya citoyenne (association qui a pour
but l’urgence de porter secours aux réfugiés
et migrants de passage dans la vallée
de la Roya) a de nouveau dénoncé la situation
dans la vallée le 4 février 2017 :
« A
Vintimille, la situation actuellement, est
que les nouveaux arrivants ne sont désormais ni hébergés ni nourris, ce malgré
les efforts de Caritas à San Antonio.
Notre aide sous forme de distributions
quotidiennes de repas et de vêtements en
«maraudes» semble donc plus qu’utile !
Or les multiples forces de police sont de plus
en plus menaçantes. Hier vendredi 3 février,
la maraude s’est faite renvoyer chez elle
avec la moitié de ses riz-lentilles-boulettes de
viande servis chauds (plus les provisions pour le
lendemain). Menaces réitérées d’amendes et
de saisie du véhicule ! Il semble donc être
criminel de nourrir ceux qui ont faim dans les
rues de notre Europe. Nous en appelons à
une prise de conscience. »
Encore ce week-end du 4 février 2017, une
personne est morte en tentant de passer la
frontière franco-italienne.
Ces citoyens ne font que donner à manger,
offrir un toit et une protection aux personnes
étrangères en détresse. Ils rendent un peu
de dignité aux migrants. La société civile ne
doit pas supporter cette pénalisation des
mouvements humanitaires et solidaires, non
au « délit d’humanité ».
Plus de 350 organisations associatives
ou syndicales, nationales ou locales,
ont signé un manifeste publié le 12 janvier
2017 et ont organisé partout en France
en février des rassemblements
pour dénoncer ce « délit de solidarité». Le combat continue. Interrogez les programmes des candidats aux élections présidentielles et législatives pour vous faire une idée.
http://www.delinquantssolidaires.org
http://www.lacimade.org
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