vendredi 3 juillet 2015

Vote obligatoire : pour ou contre ?

d'après Marion Esquerré - Le Courrier des maires et des élus locaux -26 mai 2015

A l'heure où l'on parle beaucoup de démocratie et de référendum, posons-nous la question de l'exercice du droit de vote.

Face à l’abstention qui, de scrutin en scrutin, grignote un peu plus la légitimité des résultats électoraux, certains élus et responsables politiques ont remis sur la table la solution du vote obligatoire.
La proposition figurait notamment dans le rapport du président de l’Assemblée sur l’engagement républicain, présenté le 15 avril dernier(1).

En fait, l’idée du vote obligatoire refait surface très régulièrement. Jérémie Moualek, chercheur en sociologie et science politique(2), opposé au vote obligatoire, s’est amusé à recenser le nombre de propositions de loi débattues sur le sujet depuis la IIIe République : cinquante-trois.
Et comme le rappelle Loïc Blondiaux, professeur-chercheur en science politique(3)), favorable au vote obligatoire, « c’est un débat souvent violent ». Il suffit, conseille-t-il, de lire la « Chronique d’une allergie républicaine au vote obligatoire (XIXe-XXesiècles) »(4) d’Yves Déloye qui y rapporte les débats parlementaires sur cette question.

Quel levier représente le vote obligatoire ?

Loïc Blondiaux: Il existe des écarts considérables de participation entre les classes sociales mais aussi entre les classes d’âge. Or, les représentants ont tendance à ne prendre en compte que les intérêts des groupes sociaux qui votent, c’est-à-dire en général les plus favorisés.
Le vote obligatoire semble à même de réduire ce différentiel de participation et d’obliger les représentants politiques à prendre en compte l’intérêt, en particulier, des catégories populaires et des jeunes.

Jérémie Moualek: Le vote obligatoire ne lutte pas contre l’abstention, mais veut la supprimer tout simplement, en niant sa signification. Le pari de faire renaître la participation par le vote obligatoire s’appuie sur ses supposés effets de sociabilisation politique. L’électeur contraint à aller voter y prendrait peu à peu goût. Mais c’est un pari qui se heurte à la réalité.
Au Pays-Bas, par exemple, le vote obligatoire a été abandonné en 1970 après une soixantaine d’années. A partir de là, l’abstention a explosé. On peut en conclure que le principal moteur de la participation, avant que le vote obligatoire ne soit abandonné, était son caractère punitif.

Quelle que soit ses motivations, une participation massive des groupes sociaux qui s’abstiennent aujourd’hui obligerait les candidats à les prendre en compte ?

J. M. Je ne crois pas que les candidats ajusteront tout d’un coup leur offre à la nouvelle réalité du corps électoral. Ils vont parier sur le « moins pire », sur le fait que les gens contraints d’aller voter voteront blanc ou préféreront même payer une amende.
Dans les pays concernés par le vote obligatoire, des associations se sont constituées avec un système de cotisation pour prendre en charge les amendes! Au-delà de l’anecdote,le vote obligatoire va surtout obliger les électeurs et pas les élus, ce qui renvoie la responsabilité de l’abstention actuelle aux citoyens et non à leurs représentants.

L. B. Le vote obligatoire peut participer selon moi d’un cercle vertueux. Je fais référence à un mécanisme qui a été notamment identifié par un politologue canadien, Henry Milner, sous le titre de mécanisme de compétence civique. Il montre que l’intérêt pour la politique est soutenu par des politiques sociales relativement égalitaires.
Quand les politiques sociales sont trop inégalitaires, on assiste à un phénomène de marginalisation et de désaffiliation politique des catégories les plus touchées. Ces groupes sociaux ne bénéficient plus des mécanismes d’intégration sociale qui contribuent aussi à ce qu’ils se sentent concernés par les affaires de la cité.
A l’inverse, à l’image des pays scandinaves, des politiques relativement égalitaires ont pour effet de maintenir un niveau de politisation de la société assez fort. Henry Milner fait le lien entre les deux.
Personnellement, je suis assez convaincu par cela. Et il me semble que le vote obligatoire peut permettre d’entrer dans ce cercle vertueux. En obligeant tout le monde à voter, on oblige les responsables politiques à prendre en compte les catégories populaires dans leurs politiques sociales.
Cette hypothèse que je défends est encore très discutée. Elle se confirme dans certains pays, mais pas dans d’autres. Mais, étant donné la situation, il me semble qu’elle mériterait d’être expérimentée.

La liberté de vote est souvent opposée à l’idée d’un vote obligatoire. Qu’en pensez-vous ?

L. B. Si la contrepartie à l’entrée dans le cercle vertueux auquel je fais référence plus haut est l’obligation de se déplacer une fois de temps en temps pour placer un bulletin dans les urnes, c’est une atteinte à la liberté individuelle qui me semble relativement légère…

J. M. Au contraire, je pense que c’est un argument important. Depuis les prémices du suffrage universel, on n’a eu de cesse de domestiquer l’électeur. A l’origine, le bulletin « autographe » ou « manuscrit » permettait d’exprimer une opinion nuancée. Aujourd’hui, l’expression de l’électeur est réduite à un simple bout de papier, voire à une touche sur une machine à voter.
Plus l’électeur a le souhait d’exprimer une opinion complexe, nuancée, plus le mode actuel de vote s’apparente pour lui à une censure. Le vote obligatoire pousserait le processus encore plus loin, en faisant de l’élection une machine à élire, à désigner des gagnants et des perdants.

Et si le vote blanc était reconnu ?

L. B. On pourrait analyser le vote obligatoire comme une ruse des partis de gouvernement visant à maintenir à flot un système de représentation et de partis qui est en réalité à l’agonie. Donc, l’instauration du vote obligatoire impose une condition : la reconnaissance du vote blanc.
Il ne s’agit pas d’obliger les gens à choisir dans l’offre électorale et ainsi, à l’entériner. Ils doivent avoir la possibilité de marquer leur opposition aux candidats en lice en votant blanc. Le vote obligatoire sans une réelle reconnaissance du vote blanc serait d’une violence inouïe.

J. M. Reconnaître le vote blanc en cas de vote obligatoire est en effet la moindre des choses. Mais, à mon sens, il n’aura pas la même signification qu’aujourd’hui.
Actuellement, nous sommes confrontés à une forte abstention dont nous ne sommes pas capables de mesurer les causes : opposition ? manque d’information ? manque d’intérêt ? Du coup, elle est mise sous silence.
Ma crainte est de voir le vote blanc soumis au même régime en cas de vote obligatoire. Car on ne sera pas capable de dire si le vote blanc est le fait de personnes contraintes d’aller voter sous peine d’amende ou de personnes qui souhaitent marquer leur opposition à l’offre politique.
En revanche, si l’on souhaitait s’intéresser au vote blanc aujourd’hui, on pourrait en dire pas mal de choses. On pourrait par exemple tirer des conclusions du fait que 2,2 millions d’électeurs se sont déplacés pour mettre un bulletin blanc ou nul lors des présidentielles de 2012…


Jérémie Moualek, chercheur en sociologie et sciences politique rattachés aux universités d'Evry et Lille 2. Thèse en cours sur le vote blanc et nul. - Retourner au texte

Loïc Blondiaux, professeur des universités au département de science politique de la Sorbonne (Paris I), chercheur au Centre européen d'études sociologiques et de science politique de la Sorbonne (CESSP) et au Centre de recherches politiques de la Sorbonne (CRPS - Retourner au texte

Sous la direction d’Anissa Amjahad, Jean-Michel de Waele et Michel Hastings : « Le vote obligatoire. Débats, enjeux et défis », Economica (Paris), pp.69-88, 2011, Politiques comparées.

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