vendredi 29 août 2014

Les héros de notre époque

(D'après le site http://www.leravi.org - S.Bouchard- 7.07.2014)

Moi, Marc Fazio, le plombier Robin des Bois



Il est sûrement le plombier le plus célèbre du moment, celui qui s’est opposé à la toute puissante Veolia en refusant de couper l’eau aux plus pauvres. 
Marc Fazio, ex-employé avignonnais de la multinationale licencié pour « insubordination », est devenu un modèle de résistance citoyenne.


« Le problème de Marc c’est qu’il est en avance sur son temps. Son tort c’est d’avoir eu raison avant les autres ! » C’est par ces quelques mots que Marcelle Landau, présidente du collectif de l’eau d’Avignon, définit Marc Fazio, 49 ans, plombier-chauffagiste de profession et ex-agent de Veolia licencié en avril 2013 pour « insubordination et désorganisation du service » .
Sa faute ? Avoir refusé de couper l’eau aux plus démunis qui ne pouvaient pas payer. En l’espace d’un an, ce « cas rare de désobéissance civile », comme aime à le nommer Thierry Lapoirie, délégué syndical de l’union locale CGT 84 , a été propulsé par la presse au rang de héros national.

Pourtant l’homme qui accepte de nous recevoir en cette journée du mois de mai, soit un an après son licenciement, ressemble au commun des mortels. Il ne porte ni cape, ni slip rouge sur collant bleu et ne signe pas d’un F qui veut dire Fazio. Pas un super-héros donc - du moins pas l’image d’Epinal que l’on s’en fait - pas même un militant de quoi que ce soit à la base.
La parole a du mal à venir, et quand elle sort ce n’est pas par vantardise. Il ne voit en son acte rien de plus que le prolongement de sa conscience qui, si elle n’est pas professionnelle - pour Veolia en tout cas -, est tout bonnement humaine et citoyenne. Il dit avoir « préféré le dialogue à l’obéissance aveugle ». C’est bien ce que la multinationale lui reproche lorsqu’après vingt ans de bons et loyaux services, en guise de médaille du travail, elle lui montre la sortie.

Pourtant jusqu’en 2006, sa direction n’a jamais eu à se plaindre de lui : « Je demandais à évoluer, mais on me répondait toujours : "mais où voulez-vous que l’on vous mette, vous faites trop bien votre travail ?". J’avais même des félicitations et des primes », se souvient Marc Fazio. Les rapports avec son employeur se dégradent lorsqu’après une restructuration du service on demande aux agents - qui jusque-là coupaient l’eau uniquement pour des raisons techniques - d’intervenir définitivement sur les impayés, tâche précédemment dévolue à des agents municipaux.
Marc n’a pas été embauché pour ce boulot-là, avec tout ce que cela implique d’insécurité et de cas de conscience. Seuls sur le terrain, lui et ses collègues doivent faire face à des agressions, physiques pour certains. Marc est plus « chanceux », il n’a droit qu’à des insultes et des crachats. Un client mécontent le prend même à partie dans un supermarché alors qu’il fait ses courses en famille.

Aux ordres de la direction qui demande aux agents de ne pas sonner, de couper l’eau et de fuir comme des voleurs, Marc Fazio préfère le dialogue et propose aux clients un échéancier ou les dirige vers une assistante sociale. « A ce moment-là, on entre dans la crise et ça devient très compliqué. Quand vous avez une mère célibataire avec des enfants en bas âge qui n’a rien dans le frigo et qu’en plus vous venez pour lui couper l’eau, c’est pas humain. » Son périmètre c’est Avignon centre. Un secteur dans lequel en vingt ans de service il a vu la précarité s’installer et toucher des profils de population de plus en plus variés.
Chaque jour, dans les coupures d’eau qu’il doit effectuer, il y en a au moins cinq pour impayés : « Parfois pour dix euros ! Sachant que les frais de coupure et de remise en service sont de 40 euros chacun ! » Sa direction ne veut rien savoir et lui demande de laisser son altruisme au vestiaire. C’est la boule au ventre qu’il va bosser, sous antidépresseurs. Son mal être au travail pèse aussi sur sa vie de famille. Marié et père de deux enfants, Marc ne veut pas démissionner mais demande à changer de service et même à être rétrogradé. Mais Veolia ne veut rien savoir.

« A l’époque, j’aurais dû déposer plainte pour harcèlement, j’en avais parlé au syndicat de Veolia qui m’avait dit de calmer le jeu. » C’est d’ailleurs l’immobilisme de son syndicat, avec lequel il a pourtant débuté puisque lui-même a été délégué du personnel pendant plusieurs années - qui l’amène à se tourner vers l’UL CGT lorsqu’il décide d’attaquer la multinationale aux Prud’hommes pour contester son licenciement.
Le jugement devait être rendu le 22 mai, mais le tribunal Prud’homal dans l’impossibilité de se départager a préféré s’en remettre à un juge départiteur qui devrait trancher d’ici la fin de l’année. Pour beaucoup, la sanction semble disproportionnée par rapport à la faute comme si Veolia voulait montrer l’exemple et faire trinquer Marc Fazio…

Déçu que le jugement soit repoussé, il ne se laisse plus abattre. Au chômage depuis un an, il prépare une formation dans le domaine du diagnostic immobilier, mais s’inquiète de savoir si, à 50 ans, il trouvera du boulot. Malgré tout, s’il devait revenir en arrière, il ferait la même chose. « Je n’ai aucun remords. J’ai défendu mon point de vue, Veolia a défendu son porte-monnaie pour arroser ses actionnaires sur le dos des usagers, des collectivités et même de ses employés »,note l’ex-agent, heureux de ne plus vivre avec la pression au quotidien.
Le regard grave depuis le début de l’entretien, Marc Fazio laisse enfin échapper un sourire lorsqu’on lui demande comment il va un an après les faits : « Je me sens enfin en paix avec moi-même ! » Alors si David n’a pas encore terrassé Goliath, il aura au moins eu le courage de lui tenir tête!


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