vendredi 10 mars 2017

Le « délit de solidarité », qu’est ce que c’est ?

(article rédigé d'après le journal de la Cimade, février 2017)

Bien sûr, la solidarité n’a jamais été inscrite dans aucun code comme un délit. Cependant, des militants associatifs qui ne font que venir en aide à des personnes, dont de nombreux enfants, en situation de très grande précarité, victimes de décisions dangereuses, violentes, voire inhumaines, se retrouvent aujourd’hui face à la justice. 
Avec l’instauration de l’état d’urgence, et dans le contexte baptisé « crise migratoire », on assiste à une recrudescence de poursuites visant à empêcher l’expression de la solidarité envers migrants, réfugiés, Roms, sans-papiers… 
Au-delà, c’est le soutien à l’ensemble des personnes étrangères qui tend à devenir suspect, l’expression de la contestation des politiques menées qui est assimilée à de la rébellion et au trouble à l’ordre public.

Alors, le « délit de solidarité », qu’est ce que c’est ?


La sanction de ce qui se rapproche le plus du délit de solidarité apparaît dans le code noir de 1685 et dans un arrêté de 1802 qui prévoyaient des peines pour ceux qui offraient l’hospitalité ou l’assistance aux esclaves. 
Sous le régime de Vichy, un décret-loi du 2 mai 1938 fait naître l’infraction d’aide à l’entrée, à la circulation ou au séjour irrégulier d’un étranger. Il dispose que « tout individu qui par aide directe ou indirecte aura facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d’un étranger sera puni ». Cet écrit a été repris à l’identique dans l’ordonnance du 2 novembre 1945.
Dans les années 90, c’est ce texte qui a permis de fonder les poursuites contre les associations venant en aide aux étrangers sans papiers, même à titre désintéressé, ce qui a été validé par un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 16 octobre 1996 (N° 95-81875). 
La loi du 22 juillet 1996 entérine la pratique et introduit la notion d’immunité familiale, immunité étendue, par la loi Sarkozy du 26 novembre 2003, aux personnes morales et physiques quand l’aide apportée l’est « face à un danger actuel ou imminent, nécessaire à la sauvegarde de la vie ou de l’intégrité physique ». 
Aujourd’hui le délit de solidarité est prévu par l’article L. 622-1 du Ceseda (Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile) qui dispose que : « Toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers, d’un étranger en France sera punie d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 30 000 euros». 

Les textes législatifs n’ont pas introduit le critère de but lucratif pour caractériser ce délit, critère pourtant visé explicitement et exclusivement par la convention de Schengen. Donc les personnes qui agissent dans un but désintéressé sont sanctionnables.
Il a fallu attendre la loi du 31 décembre 2012 pour exempter les actions humanitaires désintéressées, mais elle ne l'a fait que pour les actions relatives à l’aide au séjour, et non pour celles relatives à l’aide à l’entrée et à la circulation. L'aide à l'entrée et à la circulation sont pénalement sanctionnables, alors qu'il est dans les faits pratiquement impossible de les différencier de l'aide au séjour.
Certes le droit pénal sanctionne les infractions qu’il définit, mais c’est aussi le devoir de la société civile de protéger le respect des droits humains

Pourquoi on en parle ? 
Au delà des textes, que se passe t- il au quotidien dans la vallée de la Roya? 


Une partie de la population qui vient en aide depuis des mois aux migrants à la frontière franco-italienne sur les hauteurs de Nice est épuisée, l’autre continue coûte que coûte à héberger, aider, nourrir.
Des familles hébergent et nourrissent 20 à 30 personnes par jour, des maraudes jusqu'à Vintimille sont organisées. Le travail se répartit entre les communes et les bénévoles venus d’ailleurs. 

La Roya citoyenne (association qui a pour but l’urgence de porter secours aux réfugiés et migrants de passage dans la vallée de la Roya) a de nouveau dénoncé la situation dans la vallée le 4 février 2017 : 
« A Vintimille, la situation actuellement, est que les nouveaux arrivants ne sont désormais ni hébergés ni nourris, ce malgré les efforts de Caritas à San Antonio. Notre aide sous forme de distributions quotidiennes de repas et de vêtements en «maraudes» semble donc plus qu’utile ! Or les multiples forces de police sont de plus en plus menaçantes. Hier vendredi 3 février, la maraude s’est faite renvoyer chez elle avec la moitié de ses riz-lentilles-boulettes de viande servis chauds (plus les provisions pour le lendemain). Menaces réitérées d’amendes et de saisie du véhicule ! Il semble donc être criminel de nourrir ceux qui ont faim dans les rues de notre Europe. Nous en appelons à une prise de conscience. » 
Encore ce week-end du 4 février 2017, une personne est morte en tentant de passer la frontière franco-italienne. 

Ces citoyens ne font que donner à manger, offrir un toit et une protection aux personnes étrangères en détresse. Ils rendent un peu de dignité aux migrants. La société civile ne doit pas supporter cette pénalisation des mouvements humanitaires et solidaires, non au « délit d’humanité ». 

Plus de 350 organisations associatives ou syndicales, nationales ou locales, ont signé un manifeste publié le 12 janvier 2017 et ont organisé partout en France en  février des rassemblements pour dénoncer ce « délit de solidarité». Le combat continue. Interrogez les programmes des candidats aux élections présidentielles et législatives pour vous faire une idée.

http://www.delinquantssolidaires.org
http://www.lacimade.org

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